Valérie Pécresse et la stratégie spatiale française
ITW Valérie Pécresse, ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur
« Nous voulons préparer le lanceur du futur »
Vous serez en Guyane, le 15 février, pour le lancement de la fusée Ariane. Comment définissez-vous aujourd’hui la politique spatiale française. Se distingue-t-elle de la politique spatiale européenne ?
Ce sera le 200e lancement d’Ariane depuis le 24 décembre 1979 et, en 32 ans d’existence, le lanceur Ariane a su s’imposer en devenant une référence européenne. Il en est à 41 tirs réussis d’affilée depuis le port spatial de l’Europe, Kourou qui est aujourd’hui un élément incontournable de l’identité de la Guyane. L’activité spatiale représente 1 500 salariés directs et 9 000 emplois indirects sur la zone, soit 15 % de la population active guyanaise. En ce qui concerne ce lanceur, on ne peut pas distinguer la politique française de la politique européenne. Nous avons notre propre politique de valorisation de Kourou, qui a permis l’accueil des lanceurs italien avec Vega et russe avec Soyouz, et notre politique de défense du lanceur européen. Je me bats en permanence dans les instances européennes pour la préférence européenne pour nos lanceurs, de façon à ce que tous les Etats d’Europe privilégient Ariane pour leurs opérations et notamment pour les lancements institutionnels. Les Etats-Unis et en particulier les Chinois donnent la priorité pour leurs vols institutionnels à leurs propres lanceurs.
Avons-nous une ambition en matière vols habités ?
Nous avons une réflexion aujourd’hui au niveau européen sur les vols habités puisque le président de la République a exprimé son accord pour participer à une aventure mondiale sur l’exploration de l’espace mais non pour la France ou l’Europe en solo. On y réfléchit avec les Russes, les Américains, pour savoir comment l’Europe pourra se situer dans cette aventure d’exploration habitée, et avec quel savoir-faire. C’est intéressant parce que le 15 février, on ne lance pas de Kourou un satellite ordinaire puisqu’on lance l’ATV 2 (véhicule de transfert automatique, NDLR) de construction européenne. Ce sera la première mission totalement opérationnelle de ce véhicule qui s’amarrera avec une procédure automatisée de rendez-vous à la station spatiale internationale. Je vous dis cela parce que l’ATV est la préfiguration de ce que pourrait être une capsule habitée si on s’engageait dans les projets que développe Astrium. Le savoir-faire européen sur ATV peut être valorisé dans le cadre de notre réflexion sur l’exploration spatiale habitée dans une démarche mondiale. On va mettre 20 tonnes en orbite pour ravitailler la station spatiale ! C’est extraordinaire et c’est la plus grosse charge utile jamais lancée par l’Europe.
Et quid de la stratégie spatiale française ?
Les Allemands ont défini leur propre stratégie qui inclut la question des lanceurs, des satellites, de la recherche mais aussi de la Défense et nous aussi nous ressentons le besoin d’avoir une stratégie nationale définie. Aujourd’hui, cette réflexion se tient essentiellement au niveau du CNES. C’est dans ses missions. Mais je pense qu’il faudrait mettre les choses sur la table, faire une vraie concertation avec tous les industriels, dans un cadre interministériel avec Eric Besson pour l’Industrie, Alain Juppé pour la Défense, et que nous définissions aussi nos priorités. En 2012 aura lieu la nouvelle conférence pour l’agence spatiale européenne (ESA), et ce sera important pour la France d’arriver elle aussi avec un document consolidé et porté par les trois ministres. Nous avons déjà mené une réflexion nationale sur l’avenir d’Ariane : nous voulons une nouvelle génération de lanceurs, après avoir modernisé Ariane 5. C’est le plan Ariane 5 ME qui permettra d’emporter des satellites plus lourds. Mais il faut aller au-delà de cette modernisation, nous voulons préparer l’après Ariane 5, le lanceur du futur, et c’est ce que nous ferons grâce aux Investissements d’avenir.
Propos recueillis par François-Xavier Guillerm (agence de presse GHM)