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Publié par fxg

Bernar Venet à Versailles

L’artiste monumentaliste, natif de Château-Arnoux/Saint-Auban sur Durance, est l’hôte pendant cinq mois du parc des châteaux de Versailles et de Marly. A Marly, l’artiste expose une œuvre dite « verticale », de grandes barres dressées en oblique. A Versailles, il expose six œuvres, les deux grands arcs et une grosse pièce de « lignes indéterminées », spécialement créés pour l’occasion.Place-dArmes.jpg

« La vente du vent est l’event de Venet », disait à votre sujet Marcel Duchamp…

Aujourd’hui, ce n’est pas du vent que je vends, ce sont des tonnes de métal !

Comment êtes-vous passé du tas de charbon qui vous a rendu célèbre à ces lignes monumentales qui animent aujourd’hui Versailles ?

Quand je fais un tas de charbon, je l’appelle un tas de charbon, quand je peins au goudron, j’appelle ça goudron et quand j’utilise des cartons, j’appelle ça reliefs en carton. L’idée de l’œuvre est précise et il n’y a pas d’interprétation. C’est pareil avec mes sculptures aujourd’hui. Quand je montre des arcs comme à Versailles, il y a inscrit dessus le nombre de degrés pour insister sur la nature de l’œuvre qui est présentée pour qu’il n’y ait pas d’interprétation, pour qu’on ne soit pas dans l’ordre de la fantaisie… L’intérêt de l’art abstrait est d’avoir enfin libéré les êtres humains de leur subordination à la nature qui était le modèle idéal que dieu avait créé. Tout à coup, avec l’art abstrait, on s’en est libéré. On met de la couleur, un truc, et on obtient quelque chose. Qu’est-ce que c’est ? Ce que vous voyez, c’est ce que c’est. Je suis dans cette lignée en poussant au maximum et en essayant de permettre une interprétation minimale. C’est pour ça que j’inscris sur mes oeuvres leur titre.

Que ressentez-vous quand vous exposez dans le lieu du pouvoir absolu ?

On n’y pense pas quand on est tout petit ! Quand on est à Saint-Auban sur Durance dans les Basses-Alpes, qu’on n’est pas le premier à l’école, on n’y pense pas. Mais quand on y arrive… C’est l’exposition, pour un artiste seul, la plus médiatisée au monde ! On attend 5 millions de visiteurs !

Louis XIV a fait son « caprice architectural » avec Versailles ; vous dîtes que vous avez fait votre « caprice sculptural »…

Je suis extrêmement respectueux du site. On est dans un lieu tout en symétrie. Il y a d’abord l’avenue de Paris qui arrive sur le château de Versailles, avec Louis XIV en plein milieu, puis le château. Et moi, je mets ces deux groupes d’arcs dans une position qui auréole la statue de Louis XIV et, dès qu’on a passé la statue, encadre le château. On est tout à fait dans l’ordre du respect. C’est un peu comme la couronne de lauriers que l’on mettait sur la tête des empereurs. Et le matin, au lever de soleil, les sculptures deviennent or. Il n’y a aucun matériau, ni aucune matière comme la rouille qui prend la lumière comme ça.

C’est l’effet Cor-ten ?

Exactement. L’acier Cor-ten serait comme les autres sauf qu’on lui a ajouté du cuivre du chrome et du zinc. Ces trois matériaux sont une protection et empêchent l’intérieur de l’acier de rouiller.

Un arc mesure 22 mètres et pèse 7 tonnes. Il vous faut une usine ! Comment travaillez-vous ?

La sculpture fait 56 tonnes et 15 d’infrastructures. Il me faut d’abord des ingénieurs, ceux du groupe belge Greisch, qui a fait le viaduc de Millau. Ils calculent toutes mes grandes sculptures à partir de mes maquettes. Puis, c’est l’atelier Melens & Dejardin de Liège qui a construit les 16 arcs.

Comment est-ce qu’on transporte une telle œuvre ?

On a transporté deux arcs à la fois sur une remorque de 20 mètres, construite spécialement pour ça.

Domaine-de-Marly.jpgComment ça tient ?

Il y a des fondations… C’est amusant d’imaginer le petit Bernar, quand il était à l’école, dire à son instituteur qu’il défoncerait les sols de Versailles pour mettre une de ses sculptures… L’instituteur lui aurait demandé de sortir de la classe ! Faut voir les trous de 10 mètres par 8 mètres qu’on a faits. Ce sont des IPN colossaux et prolongés par des peux qui descendent à 15 mètres de profondeur. Mais elles pourraient ne pas en avoir besoin car le centre de gravité est tout à fait juste et ça tient tout seul. Mais quand on a affaire à un lieu qui reçoit 25 000 personnes par jour, on est obligé de faire attention.

Et les autres pièces ?

Elles ont été réalisées en Hongrie où j’ai ma propre usine où travaillent en permanence 17 personnes.

C’est une véritable entreprise…

Une entreprise moyenne, mais modeste à côté des artistes du passé. Raphael avait 300 assistants ! Imaginez que je me mette à meuler cette sculpture, j’en ai pour 18 ans ! Il faut bâtir une œuvre pour, un jour, avoir les moyens de faire ça. Je gagne bien ma vie mais tout mon argent va à mon travail, à la fondation que j’ai au Muy. C’est mon seul objectif et la seule chose qui m’intéresse. Là, j’ai entièrement financé les deux grandes sculptures.

Vous avez proposé de les laisser sur place en les offrant à la ville de Versailles…

Oui, cette sculpture devrait rester. Je suis dans l’ordre parfait de tout ça, dans la symétrie… Et je ne suis pas sur l’emprise du château de Versailles, je suis dans la ville !

L'oeuvre est contestée par certains riverains…

Mercredi, je déjeunais avec Jean-Jacques Aillagon, le président du Château de Versailles et il me dit : « Cette fois-ci, on n’a pas de procès ! » Ils ont déjà eu 4 procès sur les 3 expositions passées. C’est vrai que mon travail n’est pas tellement agressif. Je ne montre pas de gonzesses à poil, de mecs qui se masturbent ou de Christ dans la pisse… Une demi-heure après, j’apprenais que des gens de l’avenue de Paris nous attaquaient parce que le mélange des genres ne leur allait pas. Je n’ai rien contre les gens qui n’aiment pas mon travail, mais malheureusement, ce sont souvent des gens qui n’ont aucune culture dans l’art contemporain.

Alors, qu’en ferez-vous après l’exposition ?

Les deux grands arcs intéressent la ville de Sun Cheon, au sud de la Corée, un grand collectionneur néo-zélandais qui a le plus grand parc de sculptures au monde…

Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)

L’exposition Venet à Versailles ouvre ses portes lundi et s’achèvera le 1er novembre.

Par ailleurs, l’artiste ouvrira exceptionnellement au public sa fondation dans sa propriété des Serres au Muy (Var) les vendredis du 14 à 19 heures dans le cadre de l’opération « l’art sur la Côte d’Azur ».

 


Portrait d’artiste

De Saint-Auban à l’art conceptuelBernar-Venet.jpg

Ses parents l’ont baptisé Bernard avec un D. Un soir d’août 1963, il a décidé d’ôter le D. « Parce que ce D de Bernadette me dérangeait. Bernar était plus fort, ça allait bien avec le noir de mes tableaux... » De son enfance à Saint-Auban, il n’a pas gardé de bons souvenirs. « J’ai vécu à Saint-Auban de 0 à 16 ans, j’étais toujours malade, je n’arrivais pas à m’exprimer, je n’avais pas de succès avec les filles, j’étais mal habillé parce qu’on était pauvre… Il a fallu que je m’en aille de Saint-Auban, que je parte à Nice pour changer de style de vie, être en bonne santé et commencer à m’exprimer. » Pour autant, il concède y avoir encore plein de copains et surtout ses frères. Il y a des gens qui parlent de leur enfance comme un rêve. Pas lui. Mais il est revenu à Saint-Auban pour refaire la décoration de la chapelle Saint-Jean qui se visite aujourd’hui comme un musée. « Oh ! C’est exagéré… », commente l’artiste. Quand il a été question de restaurer la chapelle, on lui a montré un tableau. « Il n’a aucune valeur… » on lui a montré l’autel. « Il est vraiment moche… » Il a suggéré de demander à un artiste actuel de s’en occuper et ils ont sauté sur l’occasion pour lui proposer le boulot. « Curieusement, en quelques minutes, j’avais complètement visualisé et mis au point la décoration entière de la chapelle. » Bernar Venet est un des précurseurs de l’art conceptuel. « La seule chose qui m’excite, ce n’est pas de faire de la peinture ou de la sculpture, c’est d’inventer. ». Le tas de charbon (1963) est une étape très importante dans son oeuvre. « Tout le monde aurait pu le faire et ça peut aussi n’avoir aucun sens... Mais comment pouvais-je introduire ça dans le milieu de l’art ? »

Le tas de charbon

3766294047.JPGIl peignait des tableaux au goudron dans son atelier à Nice. « Je sors pour respirer un petit peu parce que ça sentait fort le goudron. On était en train de restaurer la route et je vois un tas de gravier mélangé à du goudron. Ce tas noir, huileux, était exactement la correspondance en volume de ce que je faisais à la maison en deux dimensions… Et je me suis dit que si je signais ce tas de gravier au goudron, ça deviendrait une sculpture de moi. » Trouvant ce matériau difficile à manier, il utilise du charbon… Sa sculpture n’obéissait plus aux lois de la gravité, elle n’était plus verticale, ni anthropomorphique comme dans toute l’histoire de la sculpture, mais elle obéissait à la gravité du tas, sans forme spécifique. « Que je mette cinq ou cent tas de charbon contre un mur ou en plein milieu de la pièce, c’était encore ma sculpture. Ca devenait intéressant ! » Ce tas de charbon n’a pas été copié, mais quatre ans plus tard, les Américains ont découvert la possibilité de faire des sculptures sans forme spécifique, avec les mêmes paramètres et c’est devenu un événement dans l’histoire de l’art.

A la mi-juin, Bernar Venet fera venir cinquante sacs de charbon pour faire un tas devant le musée Fernand-Léger de Biot. « C’est une expo et, à la fin, je remballe et je renvoie le charbon. Plus de fétichisme ! »

FXG

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