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Publié par fxg

Le 10 mai 2018 au jardin du Luxembourg

170e anniversaire de l'abolition de l'esclavage à Paris

En l'absence d'Emmanuel Macron, parti à Aix-La -chapelle, recevoir le prix Charlemagne, la 12e journée nationale de commémoration de la traite, l'esclavage et leurs abolitions au jardin du Luxembourg, a été présidée pour la première fois par le Premier ministre Edouard Philippe.

"Il y a un flambeau de la liberté que chaque génération doit se transmettre avec un soin très particulier. Et ce flambeau, c’est d’abord la mémoire qui l’entretient et qui le ranime." Le Premier ministre Edouard Philippe, maître de cérémonie en remplacement du président appelé ailleurs, hier, dans les jardins du Luxembourg, à l'occasion de la 12e journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, s'est placé dans les pas de Gaston Monnerville qui célébrait au même endroit, il y a 70 ans le centenaire de l'abolition. La différence, c'est qu'à l'époque, ii n'était question que d'une date.

Aujourd'hui, on en compte neuf ! 25 mars (ONU), 27 avril (Mayotte), 10 mai (journée nationale de la mémoire des traites, de l'esclavage et de leurs abolitions), 22 mai (Martinique), 23 mai (journée nationale d'hommage aux victimes de l'esclavage), 27 mai (Guadeloupe), 10 juin (Guyane), 23 août (UNESCO) et 20 décembre (Réunion)... "Trop de dates ? s'interroge le Premier ministre. Non, mais un archipel de dates et de mémoires parce que l’esclavage fut un phénomène à la fois local et mondial." Et puis, il y a la dette laissée par l'esclavage qui fut "le moteur de la mondialisation marchande". Edouard Philippe a été maire du Havre, une ville portuaire qui doit aussi son essor au commerce avec les colonies, à la traite et à l’esclavage. "Cette dette, je la mesure", précise-t-il en rappelant comment en 1814, les armateurs de sa ville pétitionnèrent pour défendre la traite des Noirs, quand les ancêtres de Gaston Monnerville y sont peut-être passés, à fond de cale...

Peu de parlementaires d'outre-mer sont là (aucun des Antilles ou de la Guyane), peu de personnalités de la culture ou du monde associatif, et mis à part Christiane Taubira, Jacques Toubon, Jean-Marc Ayrault et les ministres en exercice, Jean-Michel Blanquers, Catherine Nyssen, Laura Flessel et Annick Girardin, seule une délégation de la Smith Union Institute qui a ouvert à Washington un grand musée de l'histoire afro-américaine donne le change dans le public.

Un mur pour 200 000 noms aux Tuileries

Dans son discours, le Premier ministre est venu confirmer ce qu'avait annoncé, après François Hollande en 2017, le président Macon au Panthéon le 27 avril dernier, c'est-à-dire la transformation du GIP en fondation pour la mémoire de l'esclavage, l'érection d'un mémorial des 200 000 noms d'esclaves aux Tuileries. Bref, ce que le Premier ministre a appelé en référence au MACTe (qui sera étatisé), "une mémoire en actes" : "Une mémoire consciente que l’abolition de l’esclavage n’a aboli ni les préventions sociales, ni les discriminations, ni le racisme."

Avant de remettre les prix de la flamme de l'égalité aux élèves du lycée François-Mauriac de Bordeaux pour leur réalisation audiovisuelle intitulée "Esclaves d'hier et migrants d'aujourd'hui", Edouard Philippe a lu ces lignes de Victor Hugo :

"Au moment où le gouverneur proclamait l’égalité de la race blanche, de la race mulâtre et de la race noire, il n’y avait sur l’estrade que trois hommes, représentant pour ainsi dire les trois races : un blanc, le gouverneur ; un mulâtre qui lui tenait le parasol ; et un nègre qui lui portait son chapeau. » Une manière pour lui de rappeler que "la devise de la République, liberté, égalité, fraternité, est, reste et sera toujours une création continue, perpétuellement recommencée, qu’il nous appartient de poursuivre sans relâche". Le thème du concours de la flamme de l'égalité l'année prochaine sera "devenir libre".

FXG, à Paris

Ils ont dit

George Pau-Langevin, députée PS, ancienne ministre des Outre-mer

"Je suis soulagée car je me demandais si la cérémonie aurait lieu... Nous savions que le président ne serait pas là, mais nous nous demandons si cette absence sera ponctuelle ou habituelle... Ceci dit, je pense que c'est une date qui s'installe et que petit à petit, la tragédie de l'esclavage rentre dans la mémoire collective des Français et c'est une bonne chose."

Serge Romana, président de la fondation Esclavage et réconciliation

"C'est la première fois que, officiellement, un Premier ministre, parle du 23 mai dans une cérémonie comme celle-là. Nous sommes d'autant plus contents que le mur des noms soit devenu un projet carrément gouvernemental. Ce n'était pas évident d'avoir les Tuileries, là où a siégé la Convention qui a voté la première abolition, à côté de l'ancien hôtel de la Marine où le décret de la deuxième abolition a été signé, à côté de la place de la Concorde et à côté du palais Bourbon, c'est-à-dire la République... Nous allons contribuer de façon très conséquente à l'édification de ce mémorial dont le budget est de 3 millions d'euros. Et peut-être, pourrons-nous inviter le président Macron le 23 mai 2019 pour son inauguration !"

Jean-Michel Martial, président du CREFOM

"Le message est en train d'être mieux perçu... Il est mieux digéré et mieux partagé. Le fait que l'enseignement, l'éducation soient aux premières loges nous engage à continuer parce que, année après année, nous nous retrouvons ici ,au jardin du Luxembourg, à Villers-Cotterêt, ou dans tous les lieux de mémoire où nous distribuons une information. Petit à petit, ça rentre dans les cerveaux ! Il nous revient à nous de faire en sorte que cette histoire de l'esclavage ne se reproduise plus."

Frédéric Régent, président du CNMHE

"Le 10 mai est une journée de transmission, d'éducation dans le système commémoratif que nous avons. Le 27 avril, en gros tous les dix ans et a fortiori quand on fêtera le bicentenaire, est le jour de commémoration des combattants de la liberté, que ce soient les combats des esclaves ou celui des abolitionnistes. Et enfin, le 23 mai cette année, dans sa partie officielle, est axé sur la recherche, et dans sa partie populaire, sur un hommage aux victimes anonymes. Voilà comment se structurent les commémorations. Le contemporain, le réel de l'esclavage nous a rattrapé et, du coup, la manière de l'aborder va changer parce qu'il y a des combats d'urgence à mener, aujourd'hui, maintenant, tout de suite !"

Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage

"Cette cérémonie du 10 mai a été voulue par Jacques Chirac et est issue de la loi Taubira. Il faut poursuivre ce grand chantier de la construction d'une mémoire partagée par tous les Français. Cette histoire est celle de la France, de l'Europe, mais c'est aussi une histoire mondiale. L'objectif de la Fondation, c'est de reprendre et de prolonger ce qui a déjà été entrepris pour que cette mémoire nous rende plus forts, plus libres, plus solidaires, plus fraternels pour affronter aussi les question contemporaines, les discriminations, le racisme et aussi les formes d'esclavage qui existent encore à travers le monde. Voilà ce qui est notre tâche, une tâche noble mais qui s'inscrit aussi dans le respect de nos valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité."

Laura Flessel, ministre des Sports

"Nous avons eu un très beau discours du Premier ministre et, effectivement, le mot qui revient, c'est "liberté", nourrir la liberté. Nous avons ce devoir de mémoire au niveau national et international, pour ne pas tomber dans les travers. Aujourd'hui, trop de millions de personnes se retrouvent dans l'esclavage, mais pour avancer, il faut aussi connaître son histoire, avancer sans déni et accepter de construire un futur ensemble. Et pour la jeunesse, c'est un élan d'espoir. On peut modifier les croyances, casser les paradigmes pour s'affranchir et prendre sa liberté."

Nassimah Dindar, sénatrice UDI

"C'est une date commémorative pour toute l'histoire de l'humanité et pour notre grand pays qui a mis un terme à l'esclavage. Derrière tout ça, il y a tous les débats que nous avons, ici même au Sénat, sur le devenir de la diversité française. Ce matin, je suis fière d'être française ! Nous aurions bien sûr voulu que le président de la République soit là, mais il est dignement représenté par son Premier ministre et tous les parlementaires, présidents d'association et tous les citoyens qui travaillent sur la question depuis de nombreuses années."

Pierre Kanuty, conseiller régional IdF PS

Après l'édition 2017 où il y avait deux présidents et comme d'habitude beaucoup de monde, cette année, je trouve bizarre l'absence du président de la République. Le 27 avril, le président Macron a eu raison de se rendre au Panthéon, mais en petit comité et devant une place vide... Là, on se retrouve dans un jardin du Luxembourg quasiment vide alors qu'on célèbre les 170 ans de l'abolition... C'est bizarre ! J'aimerai comprendre... C'est une question que je pose, sachant qu'il y aura une grande marche le 23 mai et que partout des communes commémorent. C'est une vague et beaucoup de Français non ultramarins sont demandeurs de s'associer à cet événement qu'ils jugent importants. Ca n'est plus un événement occulté ou oublié, la série d'Arte sur les routes de l'esclavage en témoigne. Il faut donc continuer !"

Jean-Hugues Ratenon, député FI

"J'ai hésité avant de venir...On a l'impression que c'est l'affaire de quelques personnes de la France d'en haut. On sent bien qu'il n'y a pas une prise de conscience dans le peuple français ! Il faut que dès la maternelle, dès la primaire, tous les Français aient la connaissance de ce qu'a été l'esclavage en France, dans le monde et en même temps qu'ils comprennent que l'esclavage est un combat de tous les jours parce que ce n'est pas fini ! Le 20 décembre dernier, j'ai pris a parole à l'Assemblée nationale pour dire : "Aujourd'hui, 20 décembre, jour férié." La grande majorité des députés étaient étonnés... Je me suis alors dit qu'il serait bon de faire une proposition de loi ! On est en train de la rédiger pour qu'on célèbre aussi l'abolition de l'esclavage à travers un jour férié partout en France et pas seulement dans les Outre-mer parce que la problématique de l'esclavage, c'est pas seulement dans les Outre-mer !"

Trois questions à Louis-Georges Tin, président du CRAN

"Les anciens esclavagistes doivent participer à l'effort de réparation"

Qu'attendez-vous d'une telle journée ?

Commémorer, c'est bien, réparer c'est mieux. Nous avons obtenu trois réparations l'an dernier : la mise en place de la fondation pour la mémoire de l'esclavage, le vote par le conseil de Paris d'un mémorial de l'esclavage et la promesse de la restitution des trésors coloniaux pillés pendant la colonisation. Cette année, il n'y a pas d'avancée. M. Macron a parlé de la Fondation, mais elle existait déjà... On n'a pas beaucoup avancé cette année...

Le président Macron n'a-t-il pas apporté de la confusion dans les dates en se rendant au Panthéon le 27 avril ?

Au départ, il y avait une date, puis deux, maintenant il y en a trois et demain, il y en aura quatre ! C'est compliqué même pour des enseignants ou des élèves qui ne savent pas ce qu'il faut faire et quand il faut le faire... L'important, c'est qu'est-ce qu'on fait quelle que soit la date ? La commémoration nous permet-elle d'avancer ou nous sert-elle uniquement à examiner le passé ? Il faut examiner le passé mais à condition de construire des instruments nouveaux pour la réparation comme la restitution de la dette au peuple haïtien ou la réforme agraire dans l'outre-mer...

Le CRAN vient encore d'assigner l'Etat, pourquoi ?

Nous avons décidé de mettre en cause l'article 5 du décret Schoelcher parce qu'il attribue de manière indue des réparations à l'envers aux anciens propriétaires d'esclaves. Ils se sont enrichis grâce à l'esclavage et, derechef, grâce à l'abolition ! Ces bénéficiaires ont reçu des biens très mal acquis et il faut que ceux-là soient restitués. Nous allons mettre en cause cet article devant le tribunal administratif et si on arrive à le faire casser, l'Etat aura l'obligation de restituer aux vraies victimes ces sommes. Les actions judiciaires permettent d'entretenir une pression pour que l'Etat comprenne qu'on ne peut cautionner les injustices. Schoelcher était un homme formidable, mais pour des raisons de real politik, il a du faire ces concessions qui, aujourd'hui, ne sont plus acceptables. Les anciens esclavagistes dans les Outre-mer doivent participer à l'effort de réparation commencé par l'Etat.

Propos recueillis par FXG, à Paris

ITW. Christiane Taubira, ancienne ministre

"Une histoire d'une violence indicible, mais aussi d'une extrême beauté"

Regrettez-vous l'absence du président Macron ?

Ce n'est pas tout à fait la première fois qu'un président ne vient pas parce que M. Sarkozy, une fois, avait délocalisé la cérémonie et c'est vrai que les codes protocolaires ne sont pas que des codes mondains, ils fournissent aussi les références symboliques et conceptuelles et on a lieu de s'interroger sur la présence du président de la République au Panthéon pour honorer à juste titre la mémoire des grands abolitionnistes français et la délégation au Premier ministre de cette cérémonie des mémoires de la traite de l'esclavage et de leurs abolitions...

Vous dénoncez ?

Je ne dénonce pas parce qu'en ces circonstances, j'évite les polémiques. Je pense qu'elles sont inutiles, stériles et malfaisantes. Je ne dénonce pas mais je considère qu'on a lieu de s'interroger. Il faut se demander s'il n'y a pas à nouveau ce regard qui rétrécit cette histoire de luttes d'une très grande violence, d'une très grande souffrance, qui la réduit à des décrets d'abolition en en faisant le point de fixation. Ces décrets sont importants ! Ils révèlent l'éthique, la probité, le courage de grands hommes tels que Schoelcher ou l'abbé Grégoire avant lui. Mais il ne suffit pas de montrer que la seule face lumineuse de cette histoire serait les décrets d'abolition, non, c'est une histoire de résistance, de combativité, de créativité et riche d'enseignement...

Une journée de commémoration quand l'ancienne ministre Pau-langevin évoque un mois des mémoires...

Il y a eu de nombreux débats stériles autour de ce combat pour instaurer une journée nationale... Mais la loi ne fait pas que ça ! La loi, dans son article 2, prévoit l'enseignement de cette histoire, l'encouragement de la recherche et de la coopération. C'est elle aussi qui crée le Comité national pour l'histoire et la mémoire de l'esclavage, c'est donc un texte de loi avec des dispositions normatives. Et à l'époque, il y a eu des débats sur les dates ! Là, c'est une date de célébration nationale au coeur des institutions et elle ne fait pas ombrage aux autres dates ! Mais je pense effectivement qu'il faut un mois de la mémoire plutôt que de se battre pour telle ou telle date... Le mois de mai s'y prête, mais ça n'est pas suffisant un mois pour mettre en lumière tout ce que cette histoire nous apporte, toutes les traces qu'elle a encore laissées aujourd'hui...

A quelles traces pensez-vous ?

Je pense aux langues créoles, aux religions syncrétiques qu'on trouve sur tout le continent américain et toute la Caraïbe... Je pense encore à toute cette cosmogonie et toutes ces histoires orales, l'oraliture, cette transmission de savoirs, de cultes, de cultures qui, après, a nourri la littérature écrite qui vient de la Caraïbe aussi bien francophone qu'anglophone... Il y a une créativité absolument phénoménale. Il y a une contribution au patrimoine culturel de l'humanité et je pense qu'un mois où l'on consacrerait des efforts à voir les traces dans la peinture d'aujourd'hui, les sculptures, la littérature, les contes, mais également dans les rapports à l'environnement, la pharmacopée... Cela montrerait que c'est effectivement une histoire d'une extrême violence, d'une violence indicible, mais c'est aussi une histoire d'une extrême beauté parce qu'il y a eu une créativité sans limite !

L'intitulé du prix des lycéens de la flamme de l'égalité, "Esclave d'hier, migrants d'aujourd'hui", vous a interpellé, pourquoi ?

On ne peut pas mettre une équivalence avec la situation des réfugiés, des migrants aujourd'hui, avec celle des esclaves, mais il y a un continuum dans la sensibilité, c'est-à-dire que comprendre la situation des esclaves nous aide à refuser la situation des migrants.

Propos recueillis par FXG, à Paris

En images

Arrivée du président du CNMHE, Frédéric Régent

Les "abolition's girls"

Daniele Obono, députée de Paris (FI)

Frédéric Lazorthes, ancien secrétaire général du CNMHE

Jean-Michel Martial et Jean-Marc Mormeck

Sourya Adèle

Wallès Kotra, directeur du pôle Outre-mer de France Télévisions​​​​​​​

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