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Publié par fxg

Stéphane Artano, président de la délégation Outre-mer du Sénat, Carine David et Justin Daniel

Stéphane Artano, président de la délégation Outre-mer du Sénat, Carine David et Justin Daniel

Autonomie et « capabilité » au menu des sénateurs d’outre-mer

La Délégation sénatoriale aux outre-mer a entendu lundi dans le cadre de son étude sur « La différenciation territoriale outre-mer » deux professeurs de l'Université des Antilles et membres du Laboratoire Caribéen de Sciences Sociales (LC2S).

Justin Daniel (science politique) et Carine David (droit public) viennent de publier l'ouvrage « 75 ans de départementalisation outre-mer, Bilan et perspectives de l'uniformité à la différenciation ».

Trois quarts de siècles après l’adoption de la loi du 19 mars 1946, dix ans après la départementalisation de Mayotte et au moment où l’actuel locataire de la rue Oudinot a ouvertement proposé l’autonomie aux élus de la Guadeloupe, soutenu en cela par le président de la République, les deux chercheurs ont choisi trois angles pour examiner l’état de collectivités territoriales jadis nommées « les quatre vieilles colonies ». Leur première approche s’est faite autour des données institutionnelles. « C’est un problème récurrent, a précisé le Pr. Daniel, qui n’a jamais quitté l’agenda politique. » En effet, c’est déjà en 1950 qu’Aimé Césaire le premier remet en cause le statut départemental avec son fameux « citoyen entièrement à part et non citoyen à part entière ». Depuis, l’insatisfaction à l’égard des institutions n’a jamais cessé ». Le deuxième angle de recherche a été celui de l’action publique, de plus en plus territorialisée, et le jeu des acteurs politiques dans leur manière d’investir les institutions et de se les approprier. Enfin, les chercheurs ont proposé une série de regards croisés depuis les autres territoires d’Outre-mer ainsi que les autres territoires non indépendants du Pacifique et de la Caraïbe.

« La complexité de la situation ultramarine française, a indiqué le Pr. Daniel, est un défi pour les décideurs notamment dans cette période difficile qui a débouché aux Antilles et en Guyane sur de très fortes tensions. » Alors, l’autonomie ? Luis Muñoz Marin, militant indépendantiste qui a gagné en 1945 les premières élections démocratiques de l'histoire de Porto Rico, a obtenu en 1952 l’autonomie partielle de son île vis-à-vis des États-Unis, un statut encore en vigueur et toujours contesté. Devant l’assemblée générale de l’ONU, il avait défendu une autonomie reposant sur les libertés économique, culturelle et politique, mais au détriment d’une citoyenneté inachevée. Aujourd’hui, face au dilemme de l’indépendance ou du 51e Etat des Etats-Unis, Porto-Rico est dans une impasse. Le Pr. Daniel a ensuite rappelé le discours d’Aimé Césaire du 24 février 1978, celui dit des trois voies et des cinq libertés. Le député maire de Foyal expliquait que la départementalisation était une impasse, que l’indépendance s’arrachait dans le sang et donc que la voie qui s’imposait était celle de l’autonomie. Laquelle reposait sur les trois libertés exposées par Luis Muñoz Marin auxquelles Césaire ajoutait les libertés douanière et commerciale. Selon le Pr Daniel « l’autonomie était attendue comme un pouvoir unifié fonctionnant sur la base d’une délégation démocratique opérant dans le cadre d’une sphère de pouvoirs circonscrits avec des libertés plus ou moins larges. »

« La question statutaire prend trop de place »

Aujourd’hui, l’autonomie est un mot-valise, c’est-à-dire qu’on y trouve ce qu’on veut bien y mettre, « comme une auberge espagnole ! » s’amuse l’universitaire qui rappelle que la Constitution n’en propose pas de définition et que seul l’article 74 fait référence à « l’autonomie dont peuvent être dotées les collectivités régies par ledit article ». En l’état actuel du système constitutionnel français, elle repose sur le pilier de l’article 72 qui prévoit « la libre administration des collectivités », sur l’exercice du pouvoir et enfin sur la répartition des compétences. Mais pour l’Etat, se pose la question de son aspect unitaire, ce qui rend compliqué la différenciation. « L’unité de l’Etat est fondée sur le principe d’égalité. La loi égalité réelle démontre qu’on ne parvient pas à une égalité sur le terrain. Il faut donc des règles différentes. » Là encore, c’est l’impasse puisqu’il est difficile de concilier égalité et différenciation…

Les universitaires aiment poser de bonnes questions même s’ils n’y répondent pas. Mais en l’occurrence, Carine David a posé les bases d’une réflexion à soumettre à nos élus : « Le cadre constitutionnel actuel tronque le débat parce que la question statutaire prend trop d’importance dans la discussion par rapport aux enjeux auxquels doivent faire face les collectivités. Il faut d’abord répondre à cette question : quelle société voulons-nous ? Après on peut construire un schéma institutionnel, un partage des compétences et un pouvoir normatif qui répond aux besoins de la collectivité et non l’inverse, mais le cadre statutaire n’est pas une fin en soi. » Et puis reste la question essentielle de la capacité des acteurs politiques à investir leurs champs de compétence, celle qui nous vaut les critiques acerbes des gouvernants en général, de Sébastien Lecornu en particulier. Et c’est précisément ce que la professeur Carine David, qui a travaillé vingt ans à l’université de Nouméa, appelle « la capabilité ». La collectivité de Nouvelle-Calédonie nous a montré que pour cela était possible et que cela passait par la formation.

FXG

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