Les 60 ans du Bumidom
Lumière sur « les promesses non tenues du Bumidom »
Soixante ans après la création du Bureau des migrations de l'Outre-mer (Bumidom), un colloque organisé par l'Assemblée nationale, à Paris, donnait la parole à des Antillaises et des Antillais qui ont vécu de l'intérieur ces déplacements quasi-forcés de population.
C'est un « Hommage aux travailleurs ultramarins ». Le colloque pour les « 60 ans du Bumidom », à l'initiative du député de Guadeloupe Olivier Serva a fait salle comble jeudi 14 décembre, au Palais-Bourbon, à Paris. Le Bumidom est responsable du déplacement de 160 000 personnes originaires des DOM vers la métropole.
« Ma mère est Réunionnaise, mon père Guadeloupéen et tous deux se sont rencontrés ici, au travail : dans l'hospitalier, en psychiatrie », témoigne Véronique Larose, auxiliaire de justice professionnelle en Ile-de-France. Militante de cette mémoire, elle était invitée à prendre la parole à la tribune du colloque. « Il y a une souffrance persistante, y compris chez moi. Notre mère s'est sacrifiée pour nous, en tant qu'aide-soignante. » Cette douleur de l'exil, cette maltraitance subie par les déplacés du Bumidom — les « Bumidomiens » comme ils se surnomment parfois — Guylène Mondor, présidente de l'association Sonjé, co-organisatrice du colloque, en parle très bien. Et pour cause : elle est elle-même née en France de parents originaires de la Guadeloupe. « Ce qui est important, c'est que les familles puissent en parler : il faut comprendre les raisons officielles et officieuses de ces migrations. Beaucoup de promesses n'ont pas été tenues. Notamment par rapport aux métiers : on leur disait qu'elles venaient pour être secrétaires et elles faisaient une formation de femme de ménage. »
Immigrés de l'intérieur
Racisme, dépaysement total, graves difficultés climatiques et économiques : l'objet du colloque est de lever les tabous sur les souffrances endurées par ces Antillaises et ces Antillais qui ont « sauté la mer », comme on dit en bon créole réunionnais. « Ces personnes ont été confrontées à des phénomènes de racialisation dans le monde du travail, du logement, traitées comme des étrangers, confirme Sylvain Pattieu, historien, universitaire à Paris 8. Ce Bureau des migrations d'Outre-mer est une politique publique pleine de terribles paradoxes. Le gouvernement essayait de mettre des contraintes spécifiques à ces personnes mais elle concernait des citoyens de plein droit, des Français. Dans le même temps, il s'agit d'une vraie politique de dépeuplement de ces territoires. »
S'agissait-il de fournir de la main d'oeuvre en métropole pour des « métiers en tension » - le député Olivier Serva, co-organisateur de l'évènement faisait malicieusement remarquer que ce thème est « d'actualité », avec les débat en cours autour de la « loi immigration – ou bien de remédier aux supposés « démographie galopante » et « chômage endémique » de ces territoires ? Les raisons profondes de cette politique initiée en grande partie par le député de la Réunion et Premier-ministre Michel Debré sont encore mystérieuses. Transformé en ANT puis aujourd'hui en Ladom, la nouvelle politique publique de « mobilité » pour les Outre-mer est aujourd'hui éloignée de ce qu'elle a pu être.
« Il n'y a pas eu que des histoires douloureuses et même il y a eu des succès, des parcours réussis », ajoute l'historien Sylvain Pattieu. Au niveau du militantisme, comme de la prise de conscience collective des « Bumidomiens », la question décisive est maintenant celle que se posent les parents de Véronique Larose, « immigrés de l'intérieur » qui vivent encore en France : « Où vais-je vieillir, où vais-je mourir ? »
FA Paris
Interview. Francine Hoarau, « Bumidomienne »
« Nous l'avons vécu mais on devait fermer notre bouche »
Francine Hoarau a quitté La Réunion, dans l'océan Indien, alors qu'elle avait 19 ans. En région parisienne, elle a rencontré son futur mari, originaire de la Guadeloupe. Elle vit toujours en région parisienne malgré les années qui ont passé et hésite désormais à rentrer finir ses jours sur son île. Elle a répondu aux questions de France-Antilles.
Le Bumidom a-t-il été décisif dans votre choix de quitter votre île et d'émigrer en France ?
« En 1976, le ministère de la Santé organisait un concours pour les Ultramarins. Un fonctionnaire était venu en faire la promotion sur l'île. J'avais besoin de trouver du travail, de m'émanciper. Il fallait trouver du travail dés la sortie de l'école si possible parce que les parents ne pouvaient pas gérer des lève-tard chez eux. Le Bumidom a pris en charge mon billet d'avion et l'hébergement au centre de Dieppe, le Centre de formation du ministère de la Santé (CFMS, aujourd'hui Ifcass, ndlr). »
Diriez-vous que cette expérience de vie, d'émigration et de voyage loin de votre île, finalement, a été une bonne expérience ?
« Plus ou moins. Parce qu'on nous a lâché dans la nature. Lorsque nous descendions sur Paris pour les concours, on nous donnait 50 francs et même pas un plan du métro ! On ne nous pas expliqué où nous étions, ni même comment prendre le métro. Nous étions livrés à nous-même et il fallait s'en sortir. Ensuite, nous étions hébergés soit au foyer d'Orfila soit aux Filles-du-Calvaire. Les conditions d'hébergement étaient dignes : il s'agissait d'une dame particulière et d'une institution religieuse. »
À quel point avez-vous été victime de racisme en métropole ?
« Déjà, pour chercher un logement ! Les logements étaient tous soit-disant occupés. Je ne savais pas comment faire, j'ai été contrainte d'habiter un moment chez une cousine. Et au niveau du travail, cela a été le folklore parce qu'à peine présentée, on m'a cataloguée de Marocaine. C'était exaspérant. Le racisme, ça existe. De nos jours, on parle beaucoup de discrimination mais cela ne date pas d'hier. Nous l'avons vécu mais à l'époque on ne pouvait rien dire, on devait fermer notre bouche. Les associations et les prises de parole pour dénoncer ce genre de choses, ça n'existait pas. »
Avez-vous songé et songez-vous encore à rentrer à La Réunion ?
« J'y ai songé, lorsque je travaillais. J'ai écrit partout, dans les hôpitaux, les centres, les cliniques, à La Réunion. Au total, j'ai écrit à plus de cinquante établissements pour travailler à La Réunion dans le domaine médical ! On m'a toujours répondu la même chose : pas d'embauche ! Les embauches à La Réunion, je pense que ça se fait par copinage. »
Que pensez-vous des politiques de « mobilité » actuellement appliquées et défendues par le gouvernement français ?
« Si on parle de la politique d'aujourd'hui, de Ladom, du Cnarm, etc, qui inclut des « billets-retour » et des aides au retour, je pense que c'est une bonne chose. Je trouve que si on avait fait cette politique d'accompagnement depuis le Bumidom, les retours facilités auraient entraîné moins de dégâts au niveau psychologique. Voilà ma conclusion. »
Propos recueillis par FA Paris
« Zistoir Kristian », une histoire créole du Bumidom
C'est un témoignage poignant parce qu'il conte avec beaucoup de talent et l'accent de la vérité, le parcours et le quotidien d'un ouvrier réunionnais émigré « en Frans », dans les années 70. « Zistoir Kristian », « L'histoire de Christian » en français, est un texte fondamental de la littérature réunionnaise. C'est aussi le premier « roman » rédigé intégralement dans cette langue, le kréol réyoné.
Publié initialement – et en version bilingue créole/français – par les éditions Maspero, à Paris, en 1977, les éditions Ka, basées sur l'île de La Réunion, l'ont réédité en 2009. La convention littéraire, la graphie du créole, a fait date et est toujours utilisée aujourd'hui à La Réunion : elle s'appelle « Lékritir 77 ». Les auteurs du « premier roman écrit en créole réunionnais » sont restés anonymes mais ils ont choisi de s'exprimer d'abord sur cette expérience douloureuse et bouleversante qu'a été le Bumidom.