Maryse Condé, Comme deux frères
Maryse Condé est venue assister au théâtre du balcon à la représentation de la pièce qu’elle a écrite, Comme deux frères, mise en scène par José Exélis et interprétée par Gilbert Laumord et Rudy Silaire. Interview croisée.
« C’est qui ce voyou de la Caraïbe ? »
Maryse Condé, comment avez-vous eu l’idée de cette pièce avec ces deux garçons, Greg et Jeff ?
Ecrire, c’est avoir une idée et essayer de l’exploiter. Je me suis nourrie de ce que j’ai appris. J’ai écrit ce texte à la demande de Gilbert Laumort que je connais depuis bien longtemps et j’ai été ravie d’écrire un rôle taillé à sa mesure et de combler ainsi une lacune. Mais quand j’ai laissé José Pliya adapter le texte, je trouve qu’il a un peu trop coupé et le passage d’une idée à l’autre n’est pas assez nuancé.
Comment avez-vous trouvé le passage de l’écrit à la scène ?
C’est toujours bizarre… On a une image de son texte et les gens réagissent là où on n’y avait pas pensé. Des gens pleurent et je me demande pourquoi… La lecture des gens n’est pas celle que l’auteur a imaginé… Les comédiens sont formidables. Sans eux, la pièce ne tiendrait pas.
Quels sont les ressorts dramatiques que vous utilisez ?
Les ressorts dramatiques sont un discours sur les choses qu’ils ont vécu « comme deux frères ». Ces discours recouvrent une profondeur de non-dits et les deux comédiens sont parvenus à faire affleurer le non-dit. Leur jeu apporte toute une seconde dimension qui rattrape un peu les coupures…
José Exélis, vous indiquez que votre mise en scène cherche à traquer le texte. Qu’est-ce à dire ?
Traquer le texte, c’est le faire entendre. Car là, il y a un choix de parti pris séquentiel. L’image ne doit pas nous priver du sens de l’écoute. Il faut donner le temps au spectateur de suinter avec le texte et comme toutes les belles choses, c’est un accident ! Je n’étais pas content de la première mouture car je pense que je n’avais pas traduit correctement mais là, j’approche. Même si je pense avoir encore 40 % à trouver ! Tous les non-dits que je perçois n’apparaissent pas toujours…
Maryse Condé : Il faut amener au jour cette signification, le sens, la profondeur, l’ambiguïté. Les comédiens l’ont compris tout de suite, mais ils doivent le faire comprendre.José Exélis : A partir du moment où un texte pose l’ambivalence de la nature humaine, on est au cœur du sujet et c’est un texte politique.
Gilbert Laumord, c’est vous qui avez demandé à Maryse Condé de vous écrire ce texte ?
J’ai vécu ce texte là plus loin encore, comme un geste très fort de Maryse. J’ai été très heureux qu’elle accepte ma demande. Le texte m’a touché et je me suis demandé qu’est-ce qu’il y avait dans Jeff qui lui faisait penser à moi… Peu à peu, j’ai apprivoisé le personnage et j’ai compris que c’était un personnage qui portait un manque de tendresse et que sa part de féminité tourmentait. Maryse est un observateur de la société et le texte est plein de références qui nous parlent, mais avec une dimension universelle, plus ample que ça. C’est ça qui m’a stimulé.
Qui est Jeff dans la pièce ?
Je suis l’ami de Greg depuis l’enfance. C’est une histoire d’amour entre deux êtres humains avec ses accidents et ses aspirations… J’avais croisé Rudy Silaire (qui joue Greg) plusieurs fois, travaillé avec lui comme metteur en scène et comme acteur avec un montage de texte en hommage à Césaire. On a appris à mieux fonctionner ensemble et il y a un bon courant entre nous. Les gens voient qu’il y a une connivence entre nous.
Et vous Rudy Silaire, ce personnage vous a plu ?
Le personnage est une canaille, ce qui est agréable à jouer. Le travail d’expression demandé est presque anthropométrique. C’est qui ce voyou de la Caraïbe ? Quels sont ses codes, ses spécificités, son mode gestuel ? Il y a la perversité, la dualité de l’humain, il y a la portion de désillusion. C’est plaisant d’être une canaille mais ce n’est pas facile car nous avons chacun nos clichés… On a beaucoup trituré ce texte, à l’explorer, identifier ses différentes strates. Les strates visibles du non-dit pour ces parias… Le texte parle de ça.
La pièce vite vue