Le Césaire de Patrick Singaïny
Le Réunionnais Patrick Singaïny était invité par l’Elysée pour assister à la cérémonie d’hommage national à Aimé Césaire. Mais l’auteur et coordinateur de l’ouvrage Aimé Césaire pour toujours, a préféré aller sur le plateau de LCI avec Michel Field pour commenter en direct la cérémonie. « Je serai à LCI plutôt qu’au Panthéon car je veux lui rendre hommage, non pas de façon muette, mais en honorant sa modernité. » Ce "pour toujours" qui complète le nom du poète dans le titre de l'ouvrage qu'il publie aux éditions Orphies, est une référence à Che Guevara et au fameux « Hasta la vista ». Mais au-delà de cet effet de style, Patrick Singaïny, artiste, ancien journaliste d’Antilla a voulu un ouvrage pour faire découvrir l’œuvre de Césaire. Pour ça, il faut savoir le lire. C’est la contribution d’Alfred Alexandre qui a décrypté l’écriture et la pensée césairienne en donnant une clé : il décrit le rythme trinitaire du verbe parturiant : « Les abîmes, puis une remontée avant de trouver un apaisement, notamment dans le Cahier et même dans tout ce qu’il a écrit jusqu’aux années 1990, assure Patrick Singaïny. C’est une poésie comme connaissance du moi. » La contribution de Dominique Berthet porte sur l’indéniable influence qu’a eu le cadet sur l’aîné. fait une contribution pour rendre à Césaire ce qui lui appartient : c’est lui qui a plutôt influencé André Breton et non l’inverse. Il suffit de faire sonner ce vers fameux : « Soleil cou coupé »… Les sources de Césaire sont le jazz, les américains, le romantisme allemand, Lautréamont et… le surréalisme sans le savoir, sans le définir. Breton a compris que Césaire, au-delà des mots, c’était un esprit autrement plus libre que le sien, plus assujetti par son héritage européen. Bruno Ollivier, grand spécialiste de la communication politique aux Antilles, s’est préoccupé du théâtre d’Aimé Césaire. Son texte « Mon Césaire » retrace sa rencontre avec le dramaturge de ses jeunes années d’étudiant a connu lorsqu’ il était étudiant. C’est le théâtre engagé qui s’appuie sur l’actualité politique comme dans la Tragédie du roi Christophe, clin d’œil à ces nouveaux chefs d’Etat africains des années 1960, comme son ami Senghor. Dans son théâtre, il les met en garde contre cette tentative qui les étreint de faire des « copié-collé » des manières du colon… Françoise Vergès a travaillé sur la décolonisation. « Césaire avait une vision non dualiste de la pratique politique, contre ce « ou bien l’indépendance, ou bien l’assimilation », un piège car Césaire connaît intimement son peuple qui fait appel à deux langues et que l’on ne peut désolidariser au risque de se perdre et de se détruire », explique Patrick Singaïny. Il ne désolidariser du français sans se faire du mal à soi-même… Kenjah ouvre le livre tel le griot qui conte le disparu; Marius Gotin évoque le « talisman vivant » que représentait Césaire pour les Foyalais. Laurence proteau signe une biographie qui constitue une excellente ouverture sur Césaire.
Edgar Morin, le FN et la Marseillaise
Evidemment, on attend la lecture d’Edgar Morin, ce contemporain qui a entretenu une relation avec Aimé Césaire dans les années 1950. « Il a été intéressé par les problématiques que je lui ai proposées et sa réponse collait non seulement à la ligne éditorial mais aussi à l’hommage qu’il voulait rendre et à Césaire et à Glissant ! » La problématique centrale de Patrick Singaïny repose sur un questionnement central, il « pose comme équation l’apport des différents legs des ressortissants du peuplement des Antilles et du processus de créolisation comme lieu de leur enracinement. Ce que Glissant a développé, parfois jusqu’à l’outrance », explique l’auteur réunionnais. L’apport de Césaire, c’est l’émergence d’une pensée endogène dans nos sociétés nées de l’esclavage. Et dans le même temps, il offre une pensée moderne à la France. De notre côté des océans, il fait émerger notre modernité. Du côté de l’Hexagone, il pointe du doigt la francité issue du siècle des Lumières mais qui s’accompagnait de ce que l’intellectuel réunionnais nomme Le Siècle des Ténèbres. « C’est le pêché originel de la France » poursuit-il. « Dans un récent sondage 52% des Français estiment que le FN est un parti comme un autre. Ils ont besoin d’une francité efficace. De nouvelles idées ne suffiront pas à endiguer ce désir légitime. C’est ici que la modernité de Césaire nous est d’un grand secours, quand celle-ci nous conduit à comprendre qu’il n’y aura pas ni de francité sereine, ni une réelle émancipation chez nous tant que la mémoire collective sera entachée du siècle des Ténèbres. Il ne suffit pas de glorifier la Révolution française qui n’a pas tout réussi. « La France, poursuit le Réunionnais, n’a pas résolu cette fêlure, cette anfractuosité dans la société française. La France n’est pas pensée de façon multicolore (…) « Nous sommes Réunionnais, Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais mais pas des Français, nous ne sommes pas de culture française. « Dès lors, il nous faut nous approprier des mythes qui fondent la francité afin de la rendre partageuse ». Singaïny propose de compléter la Marseillaise qui comptait 15 couplets au lieu des 7 actuels. L’intellectuel réunionnais propose de réintroduire le 12e couplet :
"Foulant aux pieds les droits de l'Homme,
Les soldatesques légions
Des premiers habitants de Rome
Asservissent les nations. (bis)
Un projet plus grand et plus sage
Nous engage dans les combats
Et le Français n'arme son bras
Que pour détruire l'esclavage"
Voilà posée une problématique post-césairienne qui invite les jeunes générations « à trouver leur place plutôt qu’à vociférer leur esprit de rébellion et leurs désillusions ». C’est sans doute pour cela que Patrick Singaïny préfère commenter la cérémonie à la télévision.
FXG (agence de presse GHM)