Anne-Marie Javouhey et les 185 affranchis de Mana (Guyane)
Anne-Marie Javouhey et les 185 affranchis de Mana
La communauté des communes des Rives de Saône en Bourgogne va inaugurer une forêt mémorielle portant le nom des 185 esclaves libérés par Anne-Marie Javouhey en 1838.
Leurs descendants sont attendus, le 14 mai prochain, pour l’inauguration et l’intégration de ce site dans la route des abolitions qui intègre déjà Toussaint Louverture, Victor Schoelcher, l’abbé Grégoire et la maison de la négritude à Champagney.
Si l’église de Mana est conçue à l’identique (hormis le matériau et la couleur) de celle de Chamblanc en Côte d’or, c’est dû à la fondatrice de l’ordre des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, Anne-Marie Javouhey, originaire de ce petit coin de la Bresse du nord en Bourgogne. La communauté de communes des Rives de Saône qui regroupe, entre autres, Chamblanc où la religieuse a grandi, Jallanges où elle est née, et Seurre où elle a été baptisée, vient d’intégrer le parcours mémoriel dans l’Est de la France de la route des abolitions. Cette route, parrainée par l’UNESCO, relie le fort de Joux dans le Jura où Toussaint Louverture fût emprisonné et mourût, la ville de Champagney en Haute-Saône dont les habitants demandèrent les premiers en 1789 l’abolition de l’esclavage des Noirs, Fessenheim en Alsace où se trouve la maison familiale de l’abolitionniste de 1848, Victor Schoelcher, et Embermenil en Lorraine, la paroisse où débuta le père de la première abolition en 1794, l’abbé Grégoire. Ainsi se retrouvent sur un même parcours mémoriel les figures de l’abolition politique, celle de la révolte des Noirs, celles de la fraternité citoyenne et, désormais celle de l’influence des mouvements religieux dans l’histoire de l’abolition de l’esclavage. Anne-Marie Javouhey a joué un rôle important de ce point de vue, et particulièrement à Mana. En 1828, le ministère des Colonies lui demanda de s’implanter à Mana pour y réussir une colonisation là où les militaires avaient échoué. C’est ainsi qu’elle partit, accompagnée d’une cinquantaine de personnes de son village de Chamblanc, pour bâtir Mana et y installer un village expérimental pour initier à la citoyenneté (former, alphabétiser, évangéliser…) 185 esclaves dont on lui a donné la charge. Ce travail aboutit le 13 mai 1838 à l’acte d’affranchissement des 185 de Mana dont 27 à titre posthume. « L’expérience de Mana a été très suivie par les abolitionnistes, explique Philippe Pichot, coordonnateur du projet Route des abolitions. Elle démontre, face au lobby des colons, que les Noirs sont des hommes et ont toutes les qualités pour devenir des citoyens. » Si les cinquante habitants venus de Chamblanc sont presque tous morts rapidement à la tâche, les esclaves affranchis ont eu des descendants, dont le sénateur maire de Mana, Georges Patient dont l’ancêtre Jean-Baptiste figure sur les actes d’affranchissement de 1838. Pour marquer ce lien historique entre la Guyane et l’agglomération des Rives de Saône, une forêt mémorielle sera plantée à Jallanges, Seurre et Chamblanc. Le 14 mai 2011, lors d’une cérémonie officielle, le public découvrira sur chaque arbre une plaque portant le nom de chacun des 185 affranchis de Mana. Outre les officiels, sont attendus leurs descendants guyanais.
FXG (agence de presse GHM)
Les descendants des 185 esclaves sont invités à se faire connaître auprès de Philippe Pichot au 0381465917, pichotp@aol.com. Et pour connaître la liste des 185 : www.abolitions.org
Le sentier de découverte Anne-Marie Javouhey
Un parcours mémoriel de 17 km a été mis en place entre Chamblanc, Jallanges et Seurre. A Jallanges, c’est la maison natale d’Anne-Marie. Elle appartient à un particulier, mais qui accepte d’ouvrir sa cour et l’accès au jardin, où le père de la sainte, Balthazar Javouhey a fait ériger en l’honneur de sa fille. JeanMarie Bez, le maire de Jallanges ne désespère pas, ultérieurement, de pouvoir l’acquérir… A Seurre, l’église du bourg abrite le baptistère où Anne-Marie a reçu son baptême. Là, Soeur Marie-Suzelle, religieuse guyanaise de l’ordre Saint-Joseph de Cluny, est venue il y a peu. « C’est un vrai lieu de ferveur pour les Guyanais », témoigne Philippe Pichot. Mais c’est à Chamblanc où la religieuse a vécu sa jeunesse que se trouve le gros du dispositif mémoriel. La maison familiale est devenue la propriété de l’ordre et abrite le lycée Anne-Marie Javouhey. Ici, c’est sœur Agnès qui officie. Dynamique et passionnée, la religieuse accueille les visiteurs et fait visiter la chambre d’Anne-Marie et de ses sœurs, la salle à manger, le grenier et l’exposition consacrée à la vie de la sainte. « Ca nous arrive de recevoir des Guyanais, des Antillais ou des Africains. Ils viennent aux sources, sur la terre de Bourgogne car on ne peut évoquer ici Anne-Marie Javouhey sans évoquer Mana, Saint-Louis ou Gorée… », témoigne sœur Agnès qui n’oublie pas de compléter la visite par l’église où les vitraux figurent l’évangélisation des Guyanais et la formation d’un clergé noir et encore le cimetière où reposent les parents d’Anne-Marie, ses sœurs et quelques missionnaires de l’ordre. Gaston Monnerville, le premier, s’était rendu sur ces lieux au milieu des années 1950. En 2007, une importante délégation de Guyane est venue renouveler ce lien et depuis trois ans, des collégiens de Guyane viennent régulièrement visiter ce site mémoriel. Le sentier pédestre passe encore par la ferme du Cheffin, cette grange où jeune fille sous la Révolution, elle permit aux prêtre réfractaire de dire des messes… Enfin, le sentier emprunte les rives de la Saône à Seurre, la mare des Barbottes à Chamblanc et la mare Meillot à Jallanges où seront bientôt plantés les 185 arbres.
La mémoire locale
« Il y a encore des Javouhey à Chamblanc… », énonce tranquillement mais fièrement Michel Bourdut, le maire de Chamblanc qui s’est emballé sur le projet. « Nous avons été suivis par nos conseils municipaux, car s’il y avait un intérêt pour le passé, il fallait raviver la mémoire des autochtones. » Et ils ont su réveiller cette histoire. Désormais, les élèves du lycée Anne-Marie Javouhey viennent en Guyane sur les traces de la sœur. « C’est un jumelage de fait, même s’il n’est pas acté officiellement », assure Jean-Marie Bez, le maire Jallanges. La communauté de communes des Rives de Saône fait partie de l’association qui pilote le projet « Sur la route de la liberté : de Chamblanc à Mana », association elle-même partenaire de « La route des abolitions de l’esclavage et des droits de l’Homme ». « Il a longtemps manqué une implication politique, explique Philippe Pichot, avec le Département, la Région et les communes. Le lycée portait bien le nom, mais c’était un peu court… » Le travail des collectivités a donc permis d’aboutir à la création d’un lieu thématique destiné à valoriser localement la mémoire d’Anne-Marie Javouhey. Jusqu’alors, seules les sœurs entretenaient la mémoire, notamment par un pèlerinage qui se déroule depuis 2007, le dernier dimanche d’avril. Avec l’inauguration de la forêt mémorielle en mai prochain, dans le cadre de l’année des outre-mer en France et de la commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage, Anne-Marie Javouhey ne sera plus le seul apanage des religieuses. Jean-Marie Bez et Michel Bourdut affirment que « La mère Javouhey est aussi importante pour nous que pour les sœurs. » Les deux élus comptent se rendre à Mana au début de l’année 2011.