Flosse contre France Télévisions sur fond d'affaire JPK
Flosse demande aux juges de condamner France Télévision pour diffamation
L’ombre de Jean-Pascal Couraud, alias JPK, planait dans le prétoire de la 17e chambre correctionnelle de Paris jeudi après-midi. La fameuse juridiction spécialisée dans le droit de la presse avait à juger Patrick de Carolis, président de France Télévision, Elise Lucet, présentatrice de l’émission de France 3 (et Tempo) Pièce à conviction, et la journaliste Magali Serre (seule présente parmi les prévenus), auteur d’un reportage sur l’affaire JPK diffusé en juin 2008. Le plaignant : Gaston Flosse qui s’était fait représenté par son conseil, Me Quinquis. Pour la défense du service public, Me Andrieu. Le sénateur Flosse estime qu’il a été diffamé et sa plainte mentionne les phrases litigieuses. Une phrase d’Elise Lucet : « Mort suspecte ou assassinat (de JPK), question sans réponse (…) L’ancien président de la Polynésie fréquente beaucoup les couloirs du tribunal que dans les allées du pouvoir. » Une autre de l’enquêtrice : « Quelle piste JPK suivait-il lors de sa disparition ? Il n’avait de cesse de rechercher des preuves de malversations financières. » A peine, la lecture du corps du délit est achevée que Me Andrieu soulève la nullité de la plainte pour cause d’ « ambiguïté ». La plainte estime que « toute la thématique de l’émission est diffamatoire ». « Il poursuit les propos cités ou d’autres multiples allégations évoquées mais non citées ? », se demande Me Andrieu Me Quinquis réplique : « Le débat est parfaitement cadré. Il s’agit de propos sont fielleux dans lesquels s’insèrent ceux poursuivis. » Le procureur reconnaît une ambiguïté mais estime que les prévenus savent ce qui leur est reproché. Le tribunal joint l’incident au fond.
« la rumeur règne en maître »
Après un visionnage d’une partie de l’émission, Magali Serre vient à la barre relater soin enquête : plusieurs mois d’enquête, quinze jours de tournage à Tahiti, des magistrats rencontrés en off, deux enquêteurs, un haut responsable du ministère de la Justice, la famille, Gaston Flosse, son avocat… Elle évoque des « magistrats tropicalisés, un contexte politique particulier, la possibilité d’un suicide, une piste familiale et celle de l’assassinat qui n’est qu’une hypothèse… » Puis, elle ajoute : « Je n’affirme à aucun moment que Gaston Flosse est à l’origine de la mort de JPK, je précise que l’enquête est en cours… » « Avez-vous rencontré Gaston Flosse », demande la présidente. « Je l’ai rencontré par hasard au palais de justice… » Me Quinquis prend la parole : « L’imputation poursuivie est d’une extrême gravité, elle insinue que Gaston Flosse pourrait avoir un lien direct avec l’assassinat d’un ex-journaliste. Elle ne parle pas de disparition et d’autres hypothèses mais de prétendus dossiers à charge et de l’assassinat prétendu de JPK. Pendant 1 h 40, cette insinuation revient de façon récurrente, malveillante et fielleuse… » L’avocat du sénateur évoque le contexte polynésien où « la rumeur règne en maître », où « un journaliste de métropole à l’esprit cartésien n’est pas forcément bien placé ». Pour appuyer ses dires, il cite l’interview de Jacques Thorel à Mediapart qui évoque « le surnaturel, les morts vivants… » Puis il se lance dans un vaste résumé de l’affaire JPK (voir encadré). « Ce ne serait donc pas diffamatoire ? Bien sûr que si, clame-t-il. Depuis sa disparition, Gaston Flosse n’a jamais été mis en examen, ni convoqué. La vérité judiciaire est qu’il n’y a aucun lien entre la disparition de JPK et Gaston Flosse. »
« L'homme politique français le plus condamné… »
Le procureur ne s’en est pas pas remis à la sagesse du tribunal comme c’est souvent le cas en diffamation, au contraire, le parquet est venu au secours de la défense : « Nous ne sommes pas saisi sur l’ensemble des allégations de la presse nationale et internationale concernant l’affaire JPK… » Sur les phrases mises en cause, le procureur estime qu’il n’y a rien d’exceptionnel pour un homme politique d’aller au tribunal, que d’en parler relève du compte rendu judiciaire… Sur l’obstination de JPK à rechercher des preuves… « Il était journaliste, ça ne fait pas un lien avec un éventuel assassinat. Les éléments de la bonne foi sont là. Le ton est à la prudence, l’enquête est sérieuse et contradictoire. » Le ministère public rappelle qu’on voit dans le reportage M. Flosse au palais qui invite la journaliste à parler à son avocat qui a la parole. Aucune inimitié personnelle ne semble non plus établie.
Me Andrieu entame sa plaidoirie en insistant sur le fait que le film montre Flosse au tribunal… « On lui offre la possibilité de s’exprimer… La qualité de l’enquête est exemplaire. » Il évoque le rôle de l’officine d’espionnage du GIP : « Troublant, mais ça n’est pas le sujet. A la fin de l’enquête, il est impossible pour autant de conclure à la responsabilité du GIP dans la mort de JPK. On n’accuse pas Gaston Flosse. » Il demande alors pourquoi un article du Monde du 28 janvier 2008 n’a pas été poursuivi : « Sombres tropiques. Un journaliste a disparu. L’enquête jette une lumière crue sur le long règne de Gaston Flosse… » De même avec un reportage de 7 à 8 sur TF1, en 2005 : « JPK a-t-il été tué par une milice locale créée par Gaston Flosse ? » « On laisse passer ça ? » lance-t-il avant de conclure : « Gaston Flosse est l’homme politique français apparemment le plus condamné… »
Le tribunal rendra son jugement le 27 mai.
FXG (Agence de presse GHM)
Retour sur « une bêtise politico-judiciaire »
Me Quinquis a procédé à un long rappel de l’affaire JPK pour dénoncer la brèche de « la bêtise politico-judiciaire », dans laquelle se serait jetée la journaliste de France 3.
JPK était un homme « sympa et agréable » qui a été journaliste aux Nouvelles à la fin des années 1980. Les Nouvelles étaient alors un journal d’opposition à Flosse. En 1985, Gaston Flosse perd le pouvoir et, en 1988, JPK son poste de rédacteur en chef. Il devient chargé de communication pour le nouveau pouvoir, puis quand Flosse retrouve la présidence, il devient chargé de communication à la mairie d’Arue où il restera en poste jusqu’à sa disparition en 1997.
Acte 1
Sa mère saisit la justice, une instruction est ouverte qui aboutit à un non lieu pour absence d’élément. A quoi s’ajoutent des déclarations de sa mère et de son frère : « Je pense que c’est un suicide. » Puis ce sont des dissensions familiales qui vont relancer l’affaire. L’épouse de Jean-Pascal Couraud est inculpée du chef de disparition de preuve sur une plainte de la mère. Avant de disparaître, JPK avait laissé sur son lit une tête de mort et une lettre d’adieu : « Là où je vais, je ne t’oublierai pas. »
Acte 2
En 2004, les élections territoriales et le débat électoral fait apparaître la rumeur de l’assassinat de JKP par l’administration territoriale et le GIP. « Ca va entrer dans les esprits et n’en jamais sortir », assène Me Quinquis. Apparaît alors Vétéa Guilloux. Ancien membre du GIP, il demande à la nouvelle équipe au pouvoir une maison et un terrain. Il déclare aussi que détaché au Service étude et documentation, officine interne au GIP, il avait suivi JPK et assisté à son enlèvement et son assassinat. « Fracassant ! », ironise Me Quinquis. L’enquête du parquet démontre l’affabulation : Guilloux n’était plus employé du GIP mais au service des ordures ménagères et JPK se trouvait ailleurs que là où Guilloux l’aurait suivi… Jugé pour dénonciation calomnieuse, Vétéa Guilloux est condamné à trois mois ferme, puis 11 mois en appel. Un pourvoi en cassation est en cours…
Acte 3
Entretemps, une nouvelle plainte de la famille pour assassinat entraîne l’ouverture d’une nouvelle instruction. Aucune piste ne serait venue étayer cette thèse et le parquet prend un réquisitoire de non lieu. A la suite de cette « cacophonie judiciaire », le juge Stelmack lâche l’affaire et c’est son confrère Redonnet qui prend le relais en 2005. Aujourd’hui, c’est le procureur Thorel qui indique qu’il n’y a aucun lien entre Gaston Flosse et la disparition de JPK. Me Quinquis cite le magistrat : « On a fabriqué un dossier politico-judiciaire sur une bêtise. » Et l’avocat conclut : « C’est une bêtise politico-judiciaire. »