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Publié par fxg

Ursulet-Alex.JPGAlex Ursulet était l'avocat principal de Guy Georges lors de son procès aux assises de Paris au printemps 2001. L'avocat martiniquais s'était adjoint le renfort de sa collaboratrice Frédérique Pons que campe Nathalie Baye. Me Ursulet est allé voir "SK 1", le film de Frédéric Tellier, sorti mercredi 7 janvier en salle. "SK 1" relate la traque et le procès de celui qu'on appela alors "le tueur de l'Est parisien". Le réalisateur a choisi de gommer le personnage de Me Ursulet au profit de Me Pons. Interview du vrai avocat de Guy Georges.

"Un film plus vendable avec un acteur blanc mis en avant, c'est-à-dire Nathalie Baye "

Comment trouvez-vous le traitement que vous réserve le film ?

Lorsque Frédéric Tellier m'a proposé de participer à la rédaction de son scénario et qu'il m'a indiqué qu'il avait pris comme base de travail "La traque", le livre de Patricia Tourancheau, une journaliste de Libération, j'ai refusé car ce livre offre une vision tronquée de l'affaire. Cette journaliste s'était essuyée les chaussures sur ma robe d'avocat pendant le procès et elle avait très fortement sali la stratégie de défense que j'avais choisi de mettre en place pour Guy Georges.

Vous avez donc choisi de refuser de travailler avec Frédéric Tellier, c'est un peu normal qu'il vous ait zappé...

Oui, mais Frédéric Tellier a vu, comme moi, qu'il ne pouvait pas limiter son film à la traque policière car ça aurait été répétitif. Il s'est donc dit qu'il allait rajouter le procès. Il m'a envoyé un scénario au bout de six mois et j'ai découvert que l'affaire judiciaire était ramenée à la gloire de Frédérique Pons, avec dans son ombre un petit Noir qui balbutie des onomatopées... Dans ces conditions, lui ai-je dit, c'est une oeuvre artistique qui n'a rien à voir avec la réalité. Vous n'appellerez pas ce personnage Guy Georges, ni cet avocat Alex Ursulet. Il a tout de même insisté et j'ai gentiment accepté d'amender le scénario pour amener toutes les scènes du procès près la réalité. Il m'a assuré que l'ensemble serait équilibré, sans fioriture et sans regard artistique. C'était compter sans le deuxième piège dans lequel ce réalisateur est tombé : comme c'est un projet commercial qui a pour but de gagner de l'argent, il a pris une actrice "bankable" et il a détourné la réalité au profit d'une histoire propre à donner un sens à la présence au premier rang de Nathalie Baye dans ce film...

C'est une oeuvre de fiction, mais c'est le procès de Guy Georges. Et l'avocat qui s'est fait craché dessus parce qu'il défendait un salaud, se trouve complètement anihilé...

Il y a un problème qui dépasse le traitement de mon personnage. Dans la réalité, l'avocate générale, la Guadeloupéenne Evelyne Lesieur est noire, l'accusé est noir et l'avocat de Guy Georges est noir. Au procès, la France va découvrir à travers le prisme de cette affaire hors du commun, où pour la première fois un serial killer passe aux assises, une réalité où le soubassement colonial de la France resurgit. Avec à la barre des assises, un avocat général, un avocat de la défense et un accusé qui sont tous noirs, la presse nationale et internationale avaient des choses à décoder. La presse n'en a rien fait. Et très vite, pendant ce procès, on va faire une association malsaine entre l'accusé et son avocat. S'il défend un salaud, c'est un salaud lui-même ! L'avocate générale va essayer de se sortir de ce piège infernal qui lui a été tendu, mais dans ce film, l'avocate générale disparaît. Il ne paraît pas une image d'Evelyne Lesieur, tout juste une silouhette ! Comment peut-on faire un film sur une affaire comme celle-ci en écartant l'accusation ? L'accusation n'existe pas. Je dis que c'est parce qu'elle est noire ! Deuxièmement, l'avocat noir de Guy Georges est flouté symboliquement. Je pense que le calcul a été de se dire que le film serait plus vendable avec un acteur blanc mis en avant, c'est-à-dire Nathalie Baye.

Comment avez-vous néanmoins trouvé votre personnage ?

William Nadylam est un garçon qui a du talent parce que, avec la part qui lui était réservée, il a réussi quand même à donner une forme de densité à son personnage et c'est un exploit d'acteur parce que son personnage n'avait pas cette vocation. C'est parce que William Nadylam a du talent que le personage d'Alex Ursulet apparaît encore un peu à l'écran !

A l'époque du procès, vous aviez développé une stratégie particulière, notamment en refusant toute interview à la presse. Le traitement que fait de vous ce film n'est-il pas un logique retour de bâton ?

Oui, bien sûr ! Mais justement revenons à la stratégie. Quand on voit ce film, on se demande qu'est-ce que c'est que cette défense gnagnan et naïve ? On ne comprend pas ! Frédéric Tellier ne peut pas faire passer à l'écran la stratégie que j'ai mise en place à l'époque ; il veut la faire passer par Frédérique Pons à qui j'ai demandé de prendre le dossier un mois avant l'audience, alors que j'étais en charge de Guy Georges depuis cinq ou six mois. Frédéric Tellier n'a pas la clé de ma stratégie et ne peut donc la transmettre au spectateur. Je n'ai encore révélé à personne cette stratégie, pas même à Frédérique Pons pendant que nous plaidions ! Car j'avais une stratégie de défense et le film passe complètement à côté. Ma stratégie consistait d'abord à créer une frustration dans l'information. La presse l'a très mal pris. Pour elle, je ne jouais pas le jeu ! Mais en ne jouant pas le jeu, j'ai créé volontairement une tension nécessaire et indispensable à la deuxième partie de ma stratégie qui devait aboutir avec la confrontation entre la thèse de l'accusation et celle de la défense...

C'est en ne jouant pas le jeu médiatique que vous avez provoqué l'amalgame entre l'accusé et son défenseur, n'est-ce pas ?

J'ai pris le risque mesuré et calculé que tous les avocats qui défendent de grandes causes prennent, à l'instar d'Isorni avec Pétain. Et là, il y a eu une association entre la réalité de Guy Georges et mon image puisqu'il s'agit de deux métis qui sont face à face. Consciemment et indirectement, il y a eu cet effet induit. Ca ne se serait sans doute pas produit si j'avais joué le jeu, mais je ne pouvais le jouer puisque ça participait de ma stratégie de défense. Celle-ci était très claire, élaborée d'un commun accord entre le client et son avocat, et elle a marché à merveille. Sans cette stratégie, jamais il n'y aurait eu cette tension qui a fait que l'inhumanité des uns, c'est-à-dire des accusateurs, est apparue, et l'humanité de celui qui était au fond du trou, dans cette arène, tel un monstre, est apparue également. In fine, la décision de la cour d'assises a été, somme toute, raisonnable puisque l'on condamne aujourd'hui à 25 ans de prison des trafiquants de stupéfiants alors que Guy georges, accusé d'avoir violé et tué huit jeunes femmes, n'a eu que 22 ans de prison.

Le film passe-t'il à côté de son sujet ?

Ce réalisateur a manqué de maturité professionnelle, de recul, de vision, de souffle et d'audace - en ayant peur de confier le rôle de l'avocat de SK 1 à un acteur noir. Il s'est enfermé dans une vision, le nez sur le guidon, avec un sujet qu'il évite : comment une société fait-elle pour engendrer à la fois un monstre pareil, un avocat général de talent et un avocat qui accepte de défendre le monstre. Et ces trois là sont noirs... Tellier est resté stupéfait de cela et pour se protéger de cette réalité, il a choisi de ne pas la montrer. Il truque et il tronque. Il avance une image gentillette de la défense alors que la réalité a été celle d'une défense qui ne défendait pas du bout des lèvres...

Votre critique n'est-elle pas une crise d'égo de l'avocat que vous êtes et qu'on a gommé ?

Je n'en suis pas là, je suis avocat depuis 35 ans ! Quinze ans après le procès de Guy Georges, je n'attends ni argent ni gloire de cette affaire. Sinon, j'aurais accepté de collaborer avec le réalisateur ; j'aurai déjà publié un livre. Or, ce livre existe depuis des années et je ne l'ai pas sorti parce que le métier que je fais est une mission noble que je n'entends pas voir fouler aux pieds par la moindre entreprise commercialiste. Après cette farce cinématographique, le moment venu, j'expliquerai tout dans un livre qui sortira en juin et qui s'appelle "L'indéfendable".

Votre critique ne relève-t-elle pas non plus d'une attitude victimaire ?

Certainement pas, mais j'ai moi-même tendu la perche en demandant à mon ancienne épouse Frédérique Pons de défendre Guy Georges avec moi. Elle représentait à l'époque l'establishment en tant que fille d'un ministre et sa présence était de nature à troubler un peu le jeu, ce qui servait ma stratégie. Et nos relations faisaient que j'avais toute confiance en elle. Le film est à sa gloire et j'en suis très heureux pour elle, mais quand je vois le résultat, je me dis que je n'aurais pas, moi, participé à cette aventure qui consiste à gommer celui qui est à l'origine de son entrée dans ce dossier.

Propos recueillis par FXG, à Paris

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A
Certains avocats sont noirs, l'accusé est noir : de quel soubassement colonial parle-t-il ? S'il y a un soubassement colonial elle est plutôt à chercher dans l''union exclusive d'un homme noir avec des femmes blanches.
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F
J'allais dire qu'en manière de préférences sexuelles, avons nous le droit de juger ?
M
<br /> d'aucun s'en étonne encore de l'attitude coloniale de France?...<br />
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