Les Réunionnais de la Creuse et leurs précurseurs martiniquais
Les députés adoptent la résolution pour les « exilés de la Creuse »
La mémoire des enfants de la Creuse et celle de l’action publique de Michel Debré en débat au Palais-Bourbon
C’est par 124 voix pour (groupes SRC, GDR, EELV, RRDP), 14 voix contre (UMP) et l’abstention de l’UDI que la Résolution relative aux Réunionnais exilés dans les années 1960-1970 dans l’Hexagone, présentée par Ericka Bareigts et le groupe socialiste, a été adoptée hier vers 18h30 à l’Assemblée nationale. Une fois le vote acquis, les députés et les ministres présents se sont levés et tournés vers les tribunes pour applaudir la vingtaine d’ex-pupilles venus assister à ce débat. Tout n’avait pas bien commencé avec la prise de parole du député UMP Didier Quentin : « Le groupe UMP ne peut souscrire à des mots tels que déportation, rafle, esclavage… » S’il a rappelé « la dramatique situation » de la Réunion à l’époque, il a estimé que cette résolution faisait « le procès de Michel Debré, véritable bienfaiteur de la Réunion », provoquant des cris dans les rangs de la majorité. Didier Quentin a encore dénoncé une « volonté d’instrumentalisation et une dérive vers la repentance ». Henri Guaino, assis derrière lui, buvait du petit-lait. Philippe Foliot (UDI), élu du Tarn, département qui a accueilli 202 enfants, a rappelé la faiblesse des conditions d’accueil, mais refusé à son tour que ce débat soit « le procès de Michel Debré ». Et tout en saluant l’œuvre commémorative du sculpteur Nelson Boyer à l’aéroport de Gillot, voulue par Nassimah Dindar, il s’est demandé si cette période préélectorale était le bon moment. Là encore, la majorité a protesté sur ses bancs. Si M. Foliot a jugé un « approfondissement nécessaire » pour cette résolution, il a conclu en prônant l’abstention de son groupe : « « Une mémoire collective se construit progressivement. »
François-Michel Lambert (EELV) a apporté le soutien de son groupe. Un soutien à la résolution qu’il aurait voulu voir aller plus loin : « L’Etat français leur a volé leur enfance, c’est à l’Etat qu’il appartient de porter le poids de sa responsabilité. » Ary Chalus, pour le groupe RRDP, est venu apporter le soutien de Thierry Robert. Il a évoqué le « consentement vicié des familles » et une « odieuse politique migratoire comparable à l’esclavage colonial ».
Mais c’est sans doute l’intervention d’Huguette Bello (GDR) qui a soulevé le plus d’enthousiasme dans l’hémicycle : « Pourquoi a-t-il fallu qu’on mêle à cette entreprise migratoire des enfants ? Pourquoi leur a-t-on menti en leur promettant des vacances au pays, des études, un métier ? C’est à la Nation toute entière que nous demandons d’offrir toute la solennité nécessaire à la reconnaissance de cette prise d’otage ! Ce qui leur a été pris ne pourra jamais leur être rendu. » Un tonnerre d’applaudissement s’ensuit, même sur les bancs de l’UDI... Au pied de la tribune, Ericka Bareigts prend les mains de sa collègue Huguette Bello…
L’intervention du maire de Guéret et député de la Creuse, Michel Vernier (SRC), a fait aussi forte impression lorsqu’il a remercié ces ex-pupilles pour ce qu’ils ont apporté à son departement : « Un petit air de la Réunion vit en Creuse désormais et nous voulons que cette mémoire ne s’éteigne jamais. » Puis, il a rendu hommage à un ancien ministre assis sur les bancs socialistes, Henri Emmanuelli, celui qui a mis fin au BUMIDOM en 1982…
Avant le discours final de la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, et l’explication de vote de Monique Orphé, le ministre des Outre-mer a répondu à Didier Quentin en lui affirmant que cette résolution n’était pas le procès de Michel Debré, quoique celui-ci restât « redevable d’un critique historique de son action publique ».
Le texte adopté vise à la diffusion et l’approfondissement de cette histoire des 1630 enfants réunionnais déplacés dans 64 départements français ruraux entre 1963 et 1980 et qu’il soit tout mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de pouvoir reconstituer leur histoire.
A noter que le débat a été suivi par un media iranien qui doit se goberger de cet épisode de l’histoire de la patrie des Droits de l’Homme.
FXG, à Paris
ITW Valérie Andanson alias Marie Germaine Périgone, Réunionnaise exilée
« A 16 ans je suis tombée sur un document qui prouvait mon adoption »
Que siginifie pour vous cette résolution ?
J’espere que cette résolution va ouvrir quelques portes et que notre histoire va entrer dans celle de la France, va être étudiée sur le plan de l’Education nationale et que, par la suite, on va pouvoir aussi aider les victimes qui sont encore en métropole et qui n’ont jamais vu leur île natale, un rêve qu’ils ne peuvent toujours pas réaliser aujourd’hui, faute de moyens. Et puis, pour les victimes qui souffrent encore et qui le souhaitent, qu’elles puissent bénéficier de soins psychologiques.
Vous-même avez attendu 40 ans pour revoir votre île et votre famille ?
Je suis partie à l’age de 3 ans, en 1966, et je suis restée 40 ans en Creuse. J’ai pu revenir à la Réunion depuis neuf ans et je suis à la recherche de mes racines.Je n’ai pas les réponses à toutes mes questions. C’est un secret d’Etat, des mensonges… On nous cache beaucoup de choses. Personnellement, je suis née a deux endroits. Civilement, je suis née en Creuse alors qu’en réalité, je suis née a la Réunion… Il y a une magouille là-dessous ! La loi française interdit ce genre de chose.
A quel moment avez-vous pris conscience de votre situation ?
Nous étions six à partir dans la famille. Arrivés en Creuse, nous avons tous été séparés. Je me suis retrouvée à l’hôpital car je souffrais de malnutrition, puis je suis tombée dans une famille d’accueil où j’ai été maltraitée pendant quatre ans. Par la suite, j’ai été adoptée par une famille formidable où j’ai pu avoir de l’amour et de l’éducation. Par contre, ma famille m’a toujours caché mes origines et c’est à l’âge de 16 ans que je suis tombée sur un document qui me prouvait mon adoption. Là, j’ai fait mes recherches, j’ai retrouvé mes deux frères, mes trois sœurs et ça a été la douche froide.
Propos recueillis par FXG, à Paris
Des « cobayes » martiniquais
Michèle, Henri, Hélène, Germain et Guy Grégoire sont Martiniquais, originaires de Fort-de-France et ont été les précurseurs des Réunionnais de la Creuse. Leur calvaire a démarré le 27 février 1956 à bord du Colombie. Après le divorce de leurs parents, les garçons sont arrachés à leur mère et envoyés dans l’Hexagone, à Tarbes. Si le plus jeune Henri, qui n’a que 4 ans, a été envoyé chez une tante et un oncle, ses frères sont placés en orphelinat. « A cause du regard de l’Institution », commente sobrement Henri quand on lui demande pourquoi… Quatre ans plus tard, le 5 novembre 1960, les deux filles sont rapprochées de leur frère Henri. « J’ai fait de telles crises pour voir mes sœurs, raconte Henri, que je les ai récupérées… » Henri a été privilégié en restant près de son oncle et sa tante qui lui donnent beaucoup d’amour, mais il a toujours été séparés de ses frères et de sa sœur Hélène qui sont restés en institution. « On a été des cobayes, sourit amèrement Henri. On a testé le truc pour les Réunionnais. » Henri et les siens n’ont revu leur mère que quarante ans plus tard, six mois avant son décès. Henri a aujourd’hui plus de 60 ans et se considère désormais comme un Antillais Pyrhénéen. Le vote de cette resolution signifie pour lui comme pour Hélène et Germain, venus assister au débat parlementaire, une reconnaissance de la frustration qu’ils ont pu vivre et des dépressions qu’ils ont pu avoir tous autant qu’ils sont. « Ca nous a marqué, ça nous a vraiment fait souffrir. »
FXG, à Paris
ITW Germain Grégoire, exilé martiniquais
« On a volé mon enfance, ma mère, l’amour »
Qu’est-il advenu de vous et de votre frère Guy une fois débarqués dans l’Hexagone ?
J’avais huit ans quand on nous a placé à l’orphelinat. Le premier que nous avons fait est l’orphelinat de Lamont, ensuite, on nous a mis dans un orphelinat du Pays Basque à Audaux entre Navarrenx et Orthez, ensuite, mon frère est revenu à Lamont et moi à l’orphelinat du Sacré-Cœur à Lourdes et cela jusqu’en 1960.
Avez-vous compris pourquoi on vous avait enlevé à vos parents ?
Non. Je n’ai toujours pas compris…
Voyiez-vous votre petit frère chez l‘oncle et la tante ?
Quand j’étais enfant, je pouvais le voir pendant les vacances… Plus tard, quand je suis rentré dans la marine marchande, quand j’étais à terre, je venais les voir de temps en temps.
Vous avez pu revoir votre mère comme Henri, votre frère ?
Je l’ai revue six mois avant sa mort. Notre père, nous l’avons revu une fois en novembre 1956 quand après son opération de l’oeil qu’il avait subie à Paris, il est reparti en Martinique. On nous a mené le voir sur le quai de la gare et je ne le reconnaissais pas parce que j’étais encore sous l’effet de la drogue. Ça a duré très longtemps ce traitement car ils ont fait de sorte de nous faire perdre la memoire… C’était un lavage de cerveau, tout le temps… J’ai pu retourner en Martinique en 1990 voir maman qui était malade. Guy était revenu depuis 1986, il était aussi malade…J’ai assisté au décès de ma mère le 22 juin et à celui de mon frère le 24 juin.
Que s’est-il passé après 1960 ?
En 1962, j’ai été placé dans un château près de Tarbes où je faisais le paysan, puis j’ai été placé dans une boulangerie… Mon frère aîné et moi voulions repartir à tout prix au pays. Mais il fallait de l’argent pour fuguer. Quand je travaillais chez un patron, je lui volais dix francs par dix francs et quand je suis arrivé à avoir 400 francs dans les poches, je me suis acheté une mobylette et j’ai dit a mon frère que nous pouvions enfin partir. Nous voulions reprendre le bateau en passager clandestin. Nous voulions rentrer chez nous… Malheureusement, on nous a rattrapés et on nous a mis en maison de correction, puis dans un foyer à Bordeaux.
Comment avez-vous tenu le coup ?
Je me suis fait une bulle autour de moi pour tout mémoriser et je suis resté dans cette bulle, J’y suis resté toute ma vie.
Savez-vous encore parler créole ?
Quand je suis arrivé en France, la première chose qu’on nous a dite, c’est : « Ici, on parle français. » Je ne parle plus le créole… Et on nous interdisait de fréquenter des Martiniquais.
Que ressentez-vous aujourd’hui, de l’amertume ?
Oui. J’ai une souffrance que je n’arrive pas à faire partir. Vous savez… C’est affreux.
On vous a volé votre vie ?
Oui… Mon enfance ! Ma mère ! L’amour ! Je ne sais pas si j’ai su donner l’amour à mes enfants… Excusez-moi (Il pleure).
Propos recueillis par FXG, à Paris