Toussaint Louverture sur France 2 les 14 et 15 février
Toussaint Louverture, un téléfilm attendu et contesté
« Réécriture de l’Histoire, manipulation mémorielle, propagande idéologique, excitation communautariste… » Philippe Pichot, historien, chef de projet développement du château de Joux dans le Jura (lieu d’incarcération de Toussaint Louverture), et membre du CPMHE*, n’a pas aimé les libertés que le réalisateur Philippe Niang a prises avec la réalité historique dans son téléfilm, Toussaint Louverture (diffusion les 14 et 15 février prochain, à partir de 20h35 sur France 2). « Mettre en scène un tel personnage qui, dans l’histoire universelle, surgit comme le déclencheur de la première abolition de l’esclavage, l’initiateur de la première indépendance d’une colonie indigène (Haïti) et la première figure du pouvoir noir, méritait un minimum de sérieux. » La productrice du film, France Zobda, assure du contraire : « Nous nous sommes adressés à trois historiens, un Haïtien, un Américain et un Français, afin de comparer, recouper et corroborer le fruit des différents travaux de recherche car, nous voulions que notre film soit le plus proche de la réalité. » Alain Foix, coscénariste et auteur de la biographie Toussaint Louverture chez Folio-biographies, se souvient de la bagarre menée avec la chaîne et les autres scénaristes pour que la réalité soit respectée. « Oui, admet-il, Philippe Pichot a raison sur tout. Mais il vaut mieux un mauvais téléfilm sur Toussaint Louverture que pas de téléfilm du tout. »
Imaginaire et histoire fausse
Philippe Niang justifie son parti pris par la nécessité d’édifier des héros historiques : « Toussaint Louverture fait partie de ces icônes, quitte à tordre le cou à la vérité historique, au nom de la vraisemblance idéologique… C'est pourquoi j'ai mis en scène des épisodes qui pour n'être pas tangibles n'en sont pas moins crédibles comme l'assassinat par noyade du père de Toussaint. » En fait, le père de Toussaint Louverture est mort presque centenaire vers 1804… Le film montre encore Toussaint et sa famille enchaînés, marchant en plein hiver dans la neige, frappés par des soldats alors qu’ils vont au Fort de Joux. « La séparation de la famille a eu lieu en juin à Saint-Domingue, s’étouffe presque Philippe Pichot. A un autre moment du film, le médecin qui vient visiter Toussaint dans sa geôle est présenté comme un simple maréchal ferrant. « Seuls l’officier de santé de l’armée ou le médecin local était autorisé à voir Toussaint dans sa cellule ! », poursuit l’historien qui tient une liste de contre-vérités dans le film longue comme le bras ! « J’aurais à déplorer, note Alain Foix, l’absence de personnages comme l’abbé Grégoire, du club des « Amis des noirs », qui auraient complètement raccordé cette fiction à la grande histoire de France plutôt que d’en faire une histoire d’Haïti contre la France et parfois même, des blancs contre les noirs. Je me suis longtemps battu pour qu’on ne fasse pas dire à Toussaint s’adressant à Napoléon ce qu’il n’a jamais dit : « Du premier des noirs au premier des blancs ». C’est une citation malheureuse de Lamartine. Toussaint n’a jamais opposé les noirs aux blancs. C’est hélas ce qui restera. » Faire un film sur un homme décrit comme un précurseur par Aimé Césaire, un modèle des luttes pour les indépendances et contre l’apartheid ou pour les droits civiques était une nécessité parce que l’image de Toussaint Louverture et son histoire sont totalement absentes dans notre mémoire collective. « Mais, regrette Alain Foix, la puissance de la télévision imprime les imaginaires et ce qui reste d’une histoire fausse devient le vrai. En cela, je partage l’inquiétude de Philippe Pichot » même s’il trouve le film utile et plaisant.
FXG (agence de presse GHM)
*Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage
« Une non polémique » selon Thierry Sorel, responsable fiction à France Télévisions
« Il s’agit d’un film utile sur un héros positif noir », commente Thierry Sorel, responsable de la fiction à France 2. Le film vient de la volonté des producteurs (France Zobda et Jean-Loup Monthieux) qui ont voulu raconter un grand héros noir qui appartient à l’histoire de France. « Ca faisait longtemps qu’un tel projet était à l’étude, même Dany Glover s’y est cassé les dents. Là, c’est apparu comme une évidence même si ça n’a pas été sans peur… » Peur de ne pas être à la hauteur comme le reprochent les historiens ? « On doit fictionner, la réalité est dans les livres d’histoire. Ce film a un parti pris de fiction comme c’est vrai dans tous les films historiques. L’attaque des historiens sur la crédibilité du film est une non polémique car ce film n’est pas un documentaire. Il sert l’imaginaire collectif français où tout un tas de personnages comme Toussaint Louverture manquent. »
La tribune d'Alain Foix
A Philippe Pichot, je formule cette réponse qui peut paraître paradoxale : Oui, il a raison sur tout. Mais il vaut mieux un mauvais téléfilm sur Toussaint Louverture que pas de téléfilm du tout.
Outre d’être un des scénaristes du film, je suis également auteur de la biographie Toussaint Louverture chez Folio-biographies, qui a fait l’objet, par contrat d’une libre adaptation pour cette fiction.
En réalité derrière ce que soulève P. Pichot, il y a un problème de fond : c’est celui du manque de présence dans l’histoire de France que l’on enseigne, de personnages noirs y ayant activement participé.
Tout le monde connaît Louis XI et a une idée de ce personnage. Si on le fait jouer par Brad Pitt, c’est une licence artistique dont personne n’est dupe. Or l’image de Toussaint Louverture et son histoire sont totalement absentes dans notre mémoire collective. Demander à France Télévision de faire l’histoire est une erreur car ce n’est pas son rôle, même si elle le fait par défaut. C’est bien là le problème. Car la puissance de la télévision imprime les imaginaires et ce qui reste d’une histoire fausse devient le vrai. En cela, je partage l’inquiétude de Philippe Pichot.
Je suis cependant très heureux qu’enfin ce personnage sorte de l’ombre et qu’on en parle, parce que je suis comme un assoiffé dans le désert qui boirait avec satisfaction même une eau saumâtre. Pour que cette eau soit claire et distillée, il faut qu’elle passe par plusieurs couches par nature non visibles et qui donnent le goût et le sens. Tout fait défaut en cela pour Toussaint comme tous les autres dont on ne parle pas.
Dans ce cas précis, faute d’autres appuis mémoriels, il y allait de la responsabilité des scénaristes de tenter d’être au plus près de la vérité historique. Assumant ma responsabilité, j’ai tenu à garder mon nom au générique et en tant que biographe, je suis prêt à répondre à toutes les questions.
Beaucoup de scènes et de dialogues que j’ai écrits y sont présents. Mais c’est un travail collectif qui ne va pas sans difficultés et sans heurts. Malgré les multiples conflits qui m’ont opposés à Philippe Niang qui était porté moins sur la crédibilité historique que sur l’éclat des images et une idéologie assez floue, les producteurs France Zobda et Jean Lou Monthieu (que je salue ici pour leur ténacité et leur courage) ont soutenu jusqu’au bout du possible ma présence pour assurer le minimum d’authenticité à cette histoire. Heureusement, l’intervention d’un autre scénariste, Sandro Agénor, a pu sauver les meubles par son talent. Il a par ailleurs repris une partie de mes préconisations abandonnées en route.
Au résultat, sans entrer dans la critique artistique car ce n’est pas mon rôle ici, je dirais que nous avons un film qui est plaisant à regarder, mais qui ne rend pas justice aux vrais personnages historiques ni à l’histoire elle-même. J’aurais notamment à déplorer l’absence de personnages comme l’abbé Grégoire du club de « Amis des noirs », qui auraient complètement raccordé cette fiction à la grande histoire de France plutôt que d’en faire une histoire d’Haïti contre la France ou pire encore, de Toussaint Louverture contre Napoléon, et parfois même, des blancs contre les noirs. Je me suis longtemps battu pour qu’on ne fasse pas dire à Toussaint s’adressant à Napoléon ce qu’il n’a jamais dit : « Du premier des noirs au premier des blancs ». C’est une citation malheureuse de Lamartine. Toussaint n’a jamais opposé les noirs aux blancs. C’est hélas ce qui restera.
J’espère simplement que ce film malgré tous ses manquements historiques, et parfois même à cause de ses faiblesses visibles, mais aussi grâce à ses qualités, donnera envie d’aller plus loin et de lire des livres d’histoire et des biographies sur ce thème. C’est pour cela aussi que j’ai collaboré à ce film et en suis heureux.
Alain Foix