Eurodom analyse ce qu'il ressent comme la nouvelle doctrine de l'Etat en matière d'Outre-mer
Benoît Lombrières, Gérard Bally et Olivier Serva, président de la délégation Outre-mer de l'Assemblée nationale
Eurodom plaide la spécificité des nos agricultures
Gérard Bally, délégué général d'Eurodom, a plaidé jeudi matin la cause de l'agriculture ultramarine en générale, de la pêche et de la canne en particulier, devant la délégation outre-mer de l'Assemblée nationale.
Cette intervention a lieu au moment où la filière sucre craint de perdre les 38 millions censés compenser la fin des quotas sucriers en Europe depuis 2017 et où les 40 millions de "l'enveloppe CIOM" destinés à soutenir la diversification animale et végétale sont aussi menacés. Le message que Gérard Bally a voulu faire passer aux parlementaires (il les a revus jeudi après-midi avec des sénateurs dans les locaux de la FEDOM) c'est la crainte de ce qu'il pense être la nouvelle doctrine de l'Etat vis-à-vis des Outre-mer : "Le premier point, c'est la libéralisation, ça veut dire le retour d'Adam Smith avec sa main invisible sur l'Outre-mer soit débrouillez-vous vous-mêmes. Le deuxième, c'est la normalisation, ça veut dire la fin des spécificités. Vous avez des atouts, profitez-en... On ne va pas se battre indéfiniment sur les handicaps... On est sur un grand ensemble continental, l'Outre-mer en fait partie, ralliez-vous à ce qui est fait pour le continent. Et puis, le troisième élément, ce sont les économies. Serrez-vous la ceinture comme tout le monde." Pour autant, il n'est pas question de supprimer l'enveloppe du CIOM. Gérard Bally en convient mais explique : "La conception du POSEI (la PAC Outre-mer, ndlr), dès le départ, en accord avec la Commission européenne, avec l'Espagne et le Portugal, ce sont les aides couplées dont le mécanisme de fonctionnement implique que l'on arrête d'alimenter le fonds que lorsqu'il n'y a plus de potentialité, qu'il n'y a plus de terres cultivables... L'enveloppe CIOM n'est pas faite pour durer éternellement, mais si on parle de sécurité alimentaire, il faut évidement ne pas arrêter l'enveloppe du CIOM. Parce que si on installe des stabilisateurs, les agriculteurs qui se sont installés vont quitter et on va progressivement démanteler ce qu'on a construit depuis trente ans. C'est ça notre inquiétude et notre préoccupation majeure."
Rentrer dans le rang
Quant à l'enveloppe compensatoire de 38 millions (28 pour la Réunion, 10 pour la Guadeloupe) pour la canne à sucre que le candidat Macron s'était engagée à soutenir et maintenir, le ministre de l'Agriculture a purement et simplement prévu de la faire sauter et les professionnels concernés sont baladés d'un ministère à l'autre. "En gros, constate Philippe Labro, président du syndicat du sucre, on nous demande à nous les Outre-mer, de rentrer dans le rang !" C'est vrai que le Premier ministre a demandé des efforts à tous ses ministres pour qu'il puisse financer la baisse de 5 milliards d'impôts promise par le président Macron... Mais localement, la suppression des 28 millions pour la Réunion aboutirait, selon Philippe Labro, à faire passer le chômage de 24 à 32 %. "Car l'agriculture dans les territoires n'a pas la même structure que dans l'Hexagone, poursuit M. Labro. Là, il y a 8,8 % de chômage et la taille moyenne d'une exploitation agricole est de 61 hectares. A la Réunion, il y a 24 % de chômage et la taille moyenne d'une exploitation est de 5,8 hectares... Il y a des spécificités qui ne peuvent pas être gommées."
Dans le cas du sucre, c'est la France, lorsqu'elle a notifié cette aide de 38 millions pour la canne à Bruxelles, qui a expliqué que c'était lié à des handicaps structurels (éloignement, modèle agricole de caractère social générateur d'emplois et petite taille de l'industrie sucrière). "Les handicaps sont structurels et la compensation ne peut être que structurelle", conclut le patron de Teréos.
La délégation à l'Outre-mer de l'Assemblée a confié aux députés Mathiasin (Guadeloupe Modem) et Manin (Martinique PS) le soin d'accompagner Eurodom dans ses démarches officielles. Mais pour peser plus fort, l'ensemble des députés d'Outre-mer devrait essayer de faire adopter rien moins qu'une résolution.
FXG, à Paris
Josiane Capron, présidente d'Eurodom
"Toute mise en danger de l'agriculture, de la pêche et de l'élevage a rétroactivement des effets sur l'industrie puisque l'essentiel de notre industrie reste l'agroalimentaire. Mettre en danger la filière canne, c'est réagir sur nos distilleries et une bonne partie de nos produits à l'exportation. Vous pensez bien que j'y suis particulièrement sensible. Nous voulons défendre tout globalement et non pas une filière plutôt qu'une autre et ce que nous voulons préserver, c'est un peu notre économie circulaire. Il vaut mieux que notre industrie agro-alimentaire continue à avoir ses propres matières premières venant de l'agriculture locale plutôt qu'elle aille les acheter à des milliers de kilomètres. Cette imbrication industrie et agriculture permet de sauvegarder l'emploi local et non délocalisable."