Procès Semsamar à Paris
Le fiasco de Guadeloupe TV et le terrain de Marigot
Le procès des anciens dirigeants de la société d'économie mixte de Saint-Martin qui a démarré le 30 septembre, se poursuit devant le tribunal judiciaire de Paris.
Si aucun des prévenus n'est à la barre pour en répondre, la question de leur rémunération en tant que dirigeants de cette société d'économie mixte (un million, voire 1,5 million d'euros par an et par personne) hante la salle d'audience. Aménageur, bailleur social, gestionnaire d'Ehpad, la Semsamar est devenue « l'une des plus grosses SEM de France, en réalisant l'immense majorité de son chiffre d'affaires en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane », rappelait au début de l'audience le président du tribunal.
À la barre de la 32ème chambre du tribunal de Paris, spécialisée dans les délits financiers, les deux anciens directeurs généraux de la Semsamar, Jean-Paul Fisher et Marie-Paule Bélenus, doivent répondre de faits de « favoritisme, prise illégale d'intérêts, abus de biens sociaux et recel d'abus de biens sociaux » commis entre 2009 et 2012. Troisième prévenu, et non des moindres puisqu'il était tout comme Jean-Paul Fisher, à l'initiative de la société d'aménagement en 1985, Louis Constant Fleming est représenté, pour raisons médicales. La Semsamar, considérée comme une victime dans cette affaire, est partie civile. Jeudi, Marie-Paule Belenus Romana et Jean-Paul Fisher ont du s'expliquer sur des investissements hasardeux dans une chaîne de télévision en Guadeloupe.
GTV
Mais pourquoi et comment Marie-Paule Belenus Romana s'est-elle retrouvée à la tête de la société Guadeloupe TV (GTV), héritière de La Une Guadeloupe ? À l'audience de ce procès pour prise illégale d'intérêts et abus de biens sociaux, pressée de questions par le président du tribunal, l'ancienne directrice générale de la Semsamar le reconnaît elle-même : « Je n'étais pas une spécialiste de l'audiovisuel ».
Dans le détail, il lui est reproché d'avoir fait souscrire en 2010 par la Semsamar une augmentation de capital de GTV d'un montant de 300 000 euros et de prendre dans le même temps la tête la tête de la nouvelle société audiovisuelle ainsi formée. Mme Bélénus-Romana y a investi plus de 200 000 euros de ses deniers personnels.
L'ancien président de la Semsamar, l'autre mis en cause dans ce procès, Jean-Paul Fisher, 78 ans, ex-âme damnée de Lucette Michaux-Chevry, est prévenu des faits de recel d'abus de biens sociaux. La société filiale de la Semsamar dont il avait la responsabilité à l'époque, a servi de véhicule pour l'investissement dans GTV. Pressé lui aussi de questions par le tribunal, Jean-Paul Fisher, a affirmé ne voir aucune contradiction entre cet investissement dans l'audiovisuel guadeloupéen et l'objet social de son entreprise, une filiale de la SEM qui gérait principalement les marinas dans le port de Saint-Martin.
« J'ai suivi les règles »
À la question de savoir comment la dirigeante du premier bailleur social des Antilles s'est retrouvée à la tête d'une télévision en faillite, Marie-Paule Belenus peine à répondre. « Mon investissement a été fait à la suite de la sollicitation de M. Lurel, afin de sauver les emplois », raconte-t-elle. « Je n'ai pas eu le choix, il était le président de région et à ce titre le deuxième actionnaire de la Semsamar. Il y avait une volonté de l’exécutif régional de sauver cette entreprise. J'en ai aussitôt informé le président et le conseil d'administration : j'ai suivi les règles. »
Entendu par un juge à Basse-Terre, en Guadeloupe, au moment de l'instruction, Victorin Lurel parlait de « prétendues pressions » subies par Marie-Paule Belenus. Il estimait alors qu'en lieu et place de sauver la société et les emplois, la dirigeante a « fait de mauvaises affaires ». Dans un texto versé au dossier et lu à l'audience par le président du tribunal, l'ancien ministre des Outre-mer tient personnellement Marie-Paule Belenus pour « responsable de ce fiasco ».
La société GTV, après trois ans de « gestion douteuse », selon les mots du tribunal, finit par être liquidée. In fine la Semsamar fait un « abandon de créances » pour ne pas mettre en danger sa filiale dirigée par Jean-Paul Fisher. Ce dernier a lui aussi investi personnellement dans la télé guadeloupéenne, il y perd 50 000 euros.
FA Paris
Des appartements à bon prix
La directrice générale de la Semsamar, Marie-Paule Belenus Romana, avait-elle droit aux 10% de remise accordés à tous les agents de la SEM lorsqu'ils achetaient un bien auprès de la société ou bien s'agit-il d'une infraction de prise illégale d'intérêts et d'abus de biens sociaux ? Entre 2011 et 2013, Marie-Paule Belenus a acheté — avec la remise de 10% — trois appartements en Guadeloupe, en vue, dit-elle, « de se constituer un patrimoine ». « Pour moi, je faisais partie du personnel, s'est défendue l'ancienne directrice générale. Personne ne m'a alerté, mes avocats ne m'ont pas averti. Je n'avais aucune intention de le dissimuler. Si aujourd'hui on me dit que je n'avais pas droit à cet avantage, je rembourserai. »
6 millions d'euros de terrain pour Louis-Constant Fleming
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Ancien sénateur, ancien président de la collectivité territoriale et figure bien connue de l'île de Saint-Martin, Louis-Constant Fleming a longtemps été administrateur et dirigeant de la société d'économie mixte. Il est poursuivi pour « prise illégale d'intérêts » pour avoir vendu en 2009 à la Semsamar, pour un montant de 6,1 millions d'euros, des terrains appartenant à sa mère, la veuve Fleming. Le président du tribunal a demandé à Jean-Paul Fisher si lui, comme Louis-Constant Fleming, était en contact avec l'intermédiaire Claude Denis. « À Saint-Martin, tout le monde a des contacts directs avec tout le monde », lui a répondu Jean-Paul Fisher.
Administrateur de la société au moment de la vente, Louis-Constant Fleming n'a pas participé au conseil d'administration lors duquel l'achat des terrains de sa mère a été décidé. Il est en revanche établi qu'il en a fixé lui-même le prix et que le produit de la vente a été versé directement sur son compte en banque. Louis-Constant Fleming n'est pas présent à son procès, pour raisons médicales. A l'époque des faits, il avait justifié cette transaction foncière, arguant du fait que ce terrain était destiné à accueillir l'hôpital de Marigot qui porte d'ailleurs le nom de son grand-père, Louis-Constant Fleming.