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Publié par fxg

Les békés au coeur du Renaudot 1967

Caraïbéditions revient sur la mort d’André Aliker

L’histoire de ce roman distingué du prix Renaudot en 1967 se déroule dans une « fade petite île mercantile, où vendre des oignons et du pinard anoblit plus qu’ailleurs, une île facile où les femmes ne s’appartiennent pas, où il faut être raciste pour passer inaperçu ».

Pendant que les jockeys sur leurs montures s’affrontent lors d’un meeting hippique de grande tradition, un sous-officier français trousse une femme, « précieuse figurine du Bénin », dans les toilettes de la société hippique. Le président honoraire, Charles Adrien Le Pontet des Courneaux, est fier d’avoir monté grâce aux bons offices de M. Le Préfet, une succursale officielle du PMU et « le Prix des Débutants est remporté par le vaillant Ma-Petite-Beauté monté par Chariot Chypre et entraîné par son propriétaire M. Hercule Mongrofer du Vauclin. »

Dans le roman de Salvat Etchart, publié pour la première fois en 1967 au Mercure de France, l’hippodrome-terrain de football est cerné de tôles ondulées et de broussailles épineuses. Non loin, la plage de Case-Navire est ainsi nommée parce qu’une brigantine s'est échouée là. Un Noir s’est construit une case, avec les quelques pièces d’or qu’il a trouvées et a acquis sa liberté. « Affranchissement accordé à l'esclave Untel par vente à lui-même » !

« Cette commune qui porte maintenant le nom du petit sous-secrétaire d’état expert en pétitions, manœuvrier, philosophe mondain, politique pérégrin, philanthrope idéaliste et franc-maçon, c’est ce noir légalement sorti des chaînes, qui en est le véritable fondateur... cet Africain... Commune de Schœlcher ... Anciennement Case- Navire ... Ouais ! » Barthélémy Kébren, Missié Baat, habite désormais la maison du Basque.

Mutation d'office dans l'au-delà

Le roman prend un peu plus loin une tournure franchement documentaire. « L’esclavage est fini depuis presque cinq générations, pas de chaînes et plus de travaux forcés, mais le nègre ne peut toujours faire un pas... Même immobile et en équilibre sur un seul pied, il est encore sur la terre du blanc... On peut l’expulser... ou lui conseiller de se remettre dare-dare au travail ... Libre ! Les chaînes tombées ! Mais avec encore la marque au fer rouge sur la peau ... » Et encore : « Dans les colonies on dit Les Nègres, comme en France on dit Les Ouvriers... Le préjugé vous range — tout comme la belote ou le bridge pour les cartes, le football ou l’équitation pour les sports — dans un monde bien déterminé. »

Et voilà qu’arrive, flottant entre deux eaux, le cadavre nu du docteur Alicanthe. Il s’agit bien du crime contre le fondateur du journal communiste Justice, André Aliker. Son journal dénonce des « valets stipendiés du colonialisme et l’exploitation éhontée du travailleur martiniquais ». Le Rénovateur Colonial évoque un crime passionnel et même un délire orgiaque. L’auteur préfère le concept de « mutation d’office dans l’au-delà ». Tout le monde sait que l’instigateur du meurtre n’est autre que Charles Adrien Le Pontet des Courneaux.

Salvat Etchart, l’auteur, s’est suicidé en direct lors d'une émission de radio quand il avait 60 ans, au Canada où il enseignait la littérature française après avoir vécu de longues années en Martinique. Quoique fuyant la promotion et les médias, ses violentes critiques de la société martiniquaise lui avaient attiré la foudre des békés. Par cette republication, Caraïbéditions remet à la disposition du lecteur antillais un livre inscrit dans notre patrimoine.

FA Paris

Le monde tel qu'il est, Salvat Etchart, Caraïbéditions, 408 pages, 11,60 euros.

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